Des alertes qui se multiplient
En 2019, le Rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques de l’IPBES estimait qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales étaient menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies. En cause (par ordre d’importance) : le changement d’utilisation des terres et des mers, la surexploitation des ressources naturelles, le changement climatique, les pollutions, l’introduction d’espèces exotiques envahissantes.
En 2021, dans un contexte d’intensification du changement climatique et de l’accélération du déclin du vivant, le Rapport de l’atelier coparrainé par l’IPBES et le GIEC sur la biodiversité et le changement climatique soulignait le fait qu’aucun de ces enjeux ne serait traités avec succès s’ils n’étaient pas abordés ensemble.
Malgré ces alertes, aucune transformation profonde de nos modèles n’a été observée, nous empêchant d’inverser la tendance, ou même de ralentir ces phénomènes.
Progressivement, les projections se sont transformées en observations concrètes. Cette année, en 2023, le Rapport de synthèse (SYR) du sixième rapport d’évaluation du GIEC (AR6) met en évidence que « le changement climatique a causé des dommages substantiels et des pertes de plus en plus irréversibles dans les écosystèmes terrestres, d’eau douce, cryosphériques, côtiers et océaniques. Des centaines de pertes locales d’espèces ont été provoquées par l’augmentation de l’ampleur des extrêmes thermiques, avec des événements de mortalité massive enregistrés sur terre et dans l’océan. Les impacts sur certains écosystèmes approchent l’irréversibilité (…) ».
Pour illustrer la criticité de la situation et rendre plus concrètes les conséquences du changement climatique sur la biodiversité, la WWF avait modélisé, en 2018, la vulnérabilité de plusieurs groupes d’espèces méditerranéennes aux effets du changement climatique. À partir des projections du GIEC, elle met en lumière dans son rapport qu’avec une augmentation de 2°C, près de 30 % de la plupart des groupes d’espèces sont menacées d’extinction. Avec une augmentation de 3,2°C, 55% des espèces de plantes sont menacées d’extinction, tout comme la moitié des mammifères et amphibiens, et le tiers des oiseaux et des reptiles. Dans un scénario du laisser-faire, en moyenne près de la moitié de la biodiversité de la région sera perdue.
En dépit de ces évaluations scientifiques et de la gravité de la situation, rares sont les organisations qui se sont engagées dans une véritable stratégie de mesure et de réduction de leur empreinte biodiversité, notamment en France.
Le déclin massif de la biodiversité se fait pourtant de plus en plus ressentir, concrètement, quotidiennement, dans notre territoire.
Des espèces et des écosystèmes en péril
L’Europe a perdu 600 millions d’oiseaux depuis les années 1980. Les oiseaux communs sont les plus touchés, à commencer par le moineau domestique. Par exemple, à Paris, en 13 ans, 3 moineaux domestiques sur 4 ont disparu. Cette évolution correspond à une baisse de 10% des effectifs chaque année. À l’échelle de la France, 30% des oiseaux ont disparu en 30 ans, dans les villes et les campagnes, d’après le Bilan 1989-2019 de la LPO, le Muséum National d’Histoire Naturelle et l’OFB. Ce déclin est multifactoriel (changement d’usage des sols, pollutions chimiques, sonores et lumineuses, etc.), et l’ampleur de la crise climatique se fait de plus en plus ressentir. Dans son Bilan 2022 des centres de soins, la LPO signale une très forte augmentation des animaux accueillis suite à des épisodes climatiques extrêmes, avec plus de 7% des admissions en 2022, contre 0,9% en 2021.
Les insectes, à la base de la chaîne alimentaire, déclinent eux aussi à un rythme sans précédent.
Les insectes représentent deux tiers des plus de 1,5 million d’espèces animales répertoriées dans le monde, et des millions d’autres restent probablement à découvrir, selon les scientifiques. À titre de comparaison, il existe environ 73 000 espèces de vertébrés (de l’humain, aux oiseaux en passant par les poissons) qui représentent ainsi moins de 5 % du règne animal connu, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
De nombreuses espèces d’insectes n’étant pas connues, et les populations des espèces connues étant difficilement quantifiables, il n’est pas évident de mesurer leur évolution. Cela dit, une analyse publiée en avril 2020 dans la revue Science suggère que la planète perd environ 9% de sa population d’insectes terrestres chaque décennie. D’après le Muséum National d’Histoire Naturelle, le nombre d’espèces d’insectes pollinisateurs et la taille des populations de nombreuses espèces diminuent. Dans certains endroits, cette baisse est de l’ordre de 70 % à 90 %.
Au-delà du seul déclin généralisé des espèces, les écosystèmes tout entiers, notamment Français, sont durablement perturbés.
En méditerranée, le réchauffement climatique et la surpêche alimentent la prolifération de méduses. En Alsace et en Charente-Maritime, les grues et les cigognes, tirant parti de l’adoucissement du climat, se sédentarisent. En Bourgogne-Franche-Comté, seuls 280 Grand Tétra, symbole du massif jurassien, subsistent aujourd’hui dans le paysage régional.
Que retenir ?
- Des écosystèmes modifiés et fragilisés
- Un effondrement massif, généralisé, et effectif du vivant
- Un déclin aggravé par le réchauffement climatique, qui reste cependant une seule des 5 causes directes d’érosion de la biodiversité, et seulement la 3ème par ordre d’importance
- Des causes d’érosion toutes d’origine anthropique
- Une urgence pour les entreprises de s’engager dans des stratégies de mesure et de réduction de leur empreinte biodiversité
Roxane Daubié, consultante biodiversité
Sources :
- Le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, Ipbes, Février 2020
- Biodiversity and climate change workshop report, Ipbes, Juin 2021
- Abundance decline in the avifauna of the European Union reveals cross-continental similarities in biodiversity change, Fiona Burns, publié le 15 novembre 2021
- Enquête : les moineaux domestiques à Paris, Paris Ecologie
- Près de 30% d’oiseaux en moins en 30 ans dans les villes et les campagnes françaises, Museum d’histoire naturelle, publié le 31 mai 2021
- Bilan 2022 des centres de soins LPO : la faune sauvage victime du climat, LOP France, publié le 16 mars 2023
- Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances, Science, publié le 24 avril 2020
- Le déclin des insectes pollinisateurs, Muséum national d’Histoire naturelle. publié en mai 2022