La méthode Bilan Carbone est une méthode incontournable pour les entreprises souhaitant mesurer et réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Développée en 2002 par Jean-Marc Jancovici en partenariat avec l’ADEME, cette approche s’impose comme un outil stratégique dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Bilan Carbone : de quoi parle-t-on ?
Les objectifs fondamentaux du Bilan Carbone
Pour les organisations, le Bilan Carbone s’articule autour de plusieurs objectifs fondamentaux :
- Evaluer ses émissions de gaz à effet de serre (GES) : réalisé sur un périmètre temporel d’une année, le Bilan Carbone permet une compréhension approfondie de l’empreinte carbone de l’organisation. La phase de diagnostic du Bilan Carbone permet d’obtenir un résultat chiffré des émissions de gaz à effet de serre d’une organisation, sur les différents postes d’émissions pris en compte.
- Réduire son empreinte carbone : le Bilan Carbone n’est pas seulement un outil de reporting : il a pour vocation la réduction significative des émissions de gaz à effet de serre. En identifiant et en ciblant ces sources d’émissions significatives lors de la phase de diagnostic, les organisations peuvent maximiser leur impact en mettant en œuvre des stratégies de réduction appropriées.
- Diminuer ses consommations et donc sa facture énergétique : un autre objectif clé est de réduire les consommations énergétiques de l’organisation, ce qui entraîne non seulement une diminution de son empreinte carbone, mais également des économies financières significatives à long terme.
- Définir et suivre de nouveaux indicateurs de pilotage : le Bilan Carbone vise à définir de nouveaux indicateurs de pilotage pour mesurer et suivre les progrès réalisés dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les spécificités de la méthode Bilan Carbone
Le Bilan Carbone est associé à quelques spécificités et nuances importantes. Avant de se lancer dans la démarche, il est essentiel de garder à l’esprit ces éléments :
- Le Bilan Carbone prend en compte tous les gaz à effet de serre : même si l’évaluation se fait sous l’unité commune du CO2 équivalent (CO2e), la méthode évalue les émissions de tous les gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote, gaz fluorés, etc.).
- Le Bilan Carbone est une méthode monocritère : le prisme carbone apporte une vision sur l’effet de serre, mais laisse de côté d’autres impacts environnementaux majeurs tels que la biodiversité ou la pollution des eaux et des sols.
- La comparaison des Bilans Carbone est possible mais compliquée : les différences de périmètres et d’hypothèses peuvent compliquer la comparaison entre les bilans de différentes organisations, même si leurs activités sont similaires.
- Le Bilan Carbone est un exercice associé à un taux d’incertitude non négligeable : bien qu’elle offre une estimation globale des émissions de gaz à effet de serre et permette de hiérarchiser les postes d’émissions, la méthode reste sujette à un certain degré d’incertitude.
Le périmètre de la méthode Bilan Carbone
Dans la méthodologie Bilan Carbone, on adopte une perspective de dépendance plutôt que de responsabilité. Cela signifie que tous les flux sur lesquels l’organisation repose sont pris en compte, et non seulement ceux qu’elle génère directement.
Depuis le décret du 1er juillet 2022, le Bilan Carbone divise les émissions en six catégories d’émissions de gaz à effet de serre (correspondant aux anciens scopes 1, 2 et 3).
Le cadre réglementaire du Bilan Carbone
La réalisation d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre est l’une des principales mesures instaurées par la loi Grenelle II en 2010. Depuis, les entreprises privées comptant plus de 500 salariés, ou 250 dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), sont tenues de rapporter leurs émissions de gaz à effet de serre tous les quatre ans. Ces rapports doivent être publiés sur la plateforme de l’ADEME, avec un périmètre minimal des anciens scopes 1 et 2.
L’entrée en vigueur de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) marque un tournant majeur en matière de reporting environnemental. Avec celle-ci, les seuils pour un reporting obligatoire sont renforcés et touchent un nombre plus conséquent d’entreprises. En effet, les entreprises comptant plus de 250 employés, avec un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros et/ou un bilan de 20 millions d’euros, ainsi que les banques, assurances et grandes entreprises non européennes ayant des filiales en Europe sont désormais concernées.
Concernant la publication des rapports, les entreprises déjà assujetties à la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) devront appliquer ces normes pour la première fois dans leur rapport extra-financier à publier en 2025, portant sur l’exercice 2024. Les autres entreprises devront produire leur premier rapport en 2026.
En outre, la CSRD impose des exigences supplémentaires concernant le volet plan de transition. Les entreprises doivent élaborer un plan de transition pour atténuer le changement climatique, démontrer la mise en place de politiques relatives à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique, publier les actions et ressources liées à ces politiques, et fixer des objectifs en lien avec l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
La compatibilité de la méthode Bilan Carbone avec les initiatives internationales
Bien que le Bilan Carbone soit largement adopté en France, à l’échelle internationale, la norme de référence est plutôt le GHG Protocol. Malgré leur objectif commun de reporting des émissions de gaz à effet de serre, ces deux méthodes présentent quelques spécificités :
- Approche « Market Based » ou « Location Based » : Le GHG Protocol permet la comptabilisation de l’énergie renouvelable achetée selon une approche “market based”. Contrairement à la méthode “location based” préconisée par le Bilan Carbone français, où l’électricité est comptabilisée selon son origine dans le réseau électrique environnant, dans l’approche “market based”, seul le type d’électricité achetée est prise en compte.
- Prise en compte des immobilisations : Le Bilan Carbone amortit les émissions de gaz à effet de serre liées aux immobilisations (bâtiments, véhicules, équipements informatiques, mobilier) sur une certaine durée. Par exemple, les émissions de gaz à effet de serre associées à la construction d’un bâtiment sont réparties sur 50 ans, avec une fraction équivalente comptabilisée chaque année. En revanche, le GHG Protocol ne fait pas cette distinction et prend en compte uniquement les achats réalisés au cours de l’année de référence.
Ainsi, afin de concilier les résultats d’un rapport GHG Protocol avec ceux d’un Bilan Carbone, quelques calculs intermédiaires sont nécessaires.
De l’évaluation à l’action : les étapes clés de la réalisation d’un Bilan Carbone
Comprendre les enjeux énergétiques et climatiques fondamentaux est crucial avant d’entamer un Bilan Carbone. Il s’agit de questionner les acteurs de la démarche sur les thématiques suivantes :
- Quels sont les enjeux liés à l’utilisation de ressources fossiles, en France et à échelle planétaire ?
- Pourquoi le phénomène d’effet de serre est en même temps nécessaire à la vie sur Terre, et problématique du fait des activités humaines ?
- Quelles sont les conséquences (déjà observées et à prévoir) du dérèglement climatique ?
- Quel est le rôle des entreprises dans la transition vers une économie bas carbone ?
Cette étape est primordiale, car elle permet d’engager tous les collaborateurs et parties prenantes dans la démarche, en replaçant le Bilan Carbone dans un contexte mondial et national.
1 | Cadrage du champ de l’étude : définir les frontières de l’analyse
Avant d’entamer l’analyse, il est essentiel de définir la cartographie des flux dont dépend l’organisation. Cette étape permet d’ouvrir les discussions relatives :
- Au périmètre de collecte : quels seront les flux d’émissions de gaz à effet de serre pris en compte ?
- À la nature des données recherchées : sous quel format (notamment sous quelle unité) la donnée doit être collectée ?
- Au suivi en place dans l’organisation : la donnée est-elle accessible facilement (grâce à des factures, des fichiers spécifiques, des outils de reporting interne) ?
- Aux contributeurs et contributrices : qui sera en charge de la collecte de chaque donnée ?
2 | Collecte des données : acquérir les données d’activité nécessaires à l’évaluation
La création d’un groupe de travail dédié à la collecte des données est indispensable : celui-ci aura la charge de centraliser les données nécessaires à l’analyse carbone. Cette étape est décisive, car la qualité des données va influencer le diagnostic. Sa durée est étroitement liée à la qualité du reporting interne, mais dans le cadre d’un Bilan Carbone global, la collecte des données dure entre un et trois mois.
3 | Analyse Carbone : traiter et interpréter les données
Le principe calculatoire du Bilan Carbone est le suivant : il s’agit d’une suite de multiplications de données d’activité (recensées lors de la collecte des données) par des facteurs d’émission de gaz à effet de serre. Ces facteurs sont accessibles :
- Dans des bases de données : la base de référence à échelle française est la Base Empreinte® de l’ADEME.
- Grâce à des analyses de cycle de vie de produits ou services spécifiques
- Grâce à des données directement transmises par les fournisseurs
À l’issue de cette analyse, un diagnostic chiffré des émissions de gaz à effet de serre selon plusieurs axes analytiques (sites, postes d’émissions, catégories) est transmis à l’organisation.
4 | Feuille de Route : élaborer un plan de transition précis et mesurable
Cette étape consiste à capitaliser sur le diagnostic réalisé en établissant un plan de transition concert et opérationnel, sur la base des résultats et priorités observés. Elle repose sur l’intelligence collective et la co-construction.
La feuille de route de l’organisation contient plusieurs actions, associées à :
- Un ou plusieurs objectifs
- Des étapes de mise en œuvre
- Des indicateurs de suivi et de résultat
- Des ressources à mobiliser
- Un planning d’exécution
- Un potentiel de réduction carbone chiffré
5 | Du papier à la pratique : lancer les actions et suivre les progrès
Une fois le plan établi, il s’agit de passer à l’action et de suivre les progrès réalisés en continu !
Vers une transition climatique : intégrer le Bilan Carbone dans la stratégie d’entreprise
La mise en place d’un plan de transition permet à une organisation de prendre part à l’effort de réduction des émissions nationales. Cette démarche comporte cependant des limites, notamment car elle n’est pas intégrée à la stratégie globale de l’organisation. Pour aller plus loin, une stratégie climat peut être élaborée : il s’agit d’utiliser la comptabilité carbone comme outil d’aide à la décision, au service de la stratégie d’entreprise.
Une stratégie climat a pour finalité de préparer les organisations à :
- Une modification de sa proposition de valeur pour répondre à de nouveaux enjeux, de nouveaux clients, dans un marché différent de celui d’aujourd’hui.
- La réalisation de ses activités dans un monde où le climat s’est modifié et dont la température moyenne a augmenté par rapport à l’ère préindustrielle.
- La réalisation de ses activités dans une logique bas carbone, avec les émissions de gaz à effet de serre les plus faibles possibles.
Dans le cadre d’une stratégie climat, les organisations peuvent, notamment, tracer des trajectoires de décarbonation pour projeter leurs objectifs carbone année après année. Cette approche permet une gestion proactive des émissions de gaz à effet de serre et favorise une transition progressive et mesurable.
La stratégie climat est une démarche transformative de l’activité, qui nécessite une implication des instances dirigeantes.
Léa Berry, consultante Climat