mobilite | 24/02/20

Laboratoire de la Mobilité Inclusive

laboratoire-de-la-mobilite-inclusive

La mobilité est aujourd’hui affublée d’une série d’adjectifs divers et variés : durable, douce, verte, alternative… Si la mobilité est bien LE terme à la mode, l’expression « mobilité inclusive » est pourtant loin d’être un nouveau concept vide de sens. Celle-ci souligne la corrélation entre mobilité, insertion sociale et accès à l’emploi. Aujourd’hui, 50% des Français en insertion ont déjà refusé un emploi ou une formation pour des raisons de mobilité et 25% ne disposent d’aucun moyen pour se déplacer (LMI, 2018). Face à ce constat, le Laboratoire de la Mobilité Inclusive (LMI), fondé en 2013, a fait du droit à la mobilité son combat et se donne pour mission le développement d’une mobilité pour tous. Comme chaque année depuis six ans, le LMI organise les « Rencontres de la Mobilité Inclusive » pour fédérer les acteurs clés du secteur autour d’un thème particulier. Au menu cette année : Mobilités en transitions : Quels choix de société ? Focus sur les territoires ruraux, les jeunes et les perspectives. 

 

La mobilité inclusive : kézako ?

« Pour les populations fragiles, tout est plus loin, plus cher et plus lent. La faiblesse de leurs revenus entame leur capacité de mobilité. Et comme un cercle vicieux, ces freins contribuent à leur tour à les maintenir dans leur précarité ». Tel est le constat formulé par Valérie Dreyfuss, déléguée générale du LMI, en ouverture de ces rencontres. En effet, on observe une répartition inégale des offres de mobilité sur le territoire doublée d’une difficulté à se mouvoir pour une partie des citoyens (personnes âgées, jeunes, handicapées, chômeurs…). L’accès à des services de proximité est aussi une difficulté pour les personnes habitant en zone peu dense et ne disposant pas d’une voiture. De cette façon, “les freins à la mobilité ne sont pas seulement économiques et matériels, ils sont aussi sociaux, psychosociaux, organisationnels, géographiques.” (Valérie Dreyfuss).

 

Ainsi, dans une société construite sur le mouvement, l’accès aux moyens et aptitudes nécessaires aux déplacements est une condition essentielle pour une insertion ou réinsertion sociale. Défendre une mobilité inclusive c’est aider les plus fragiles dans leurs déplacements (lire une carte, se repérer, utiliser une application mobile, disposer d’un titre de transport…), et c’est aussi améliorer la coordination entre les acteurs impliqués à l’échelle locale (et pas uniquement régionale ou métropolitaine). La mobilité inclusive est également un enjeu économique : « dans un contexte de chômage de masse, le fait que 2 employeurs sur 5 déclarent rencontrer des difficultés à pourvoir un poste pour des raisons de mobilité laisse songeur » (LMI). Être tous mobiles est donc à la fois un enjeu d’égalité face à l’emploi mais aussi une grande opportunité de création de services et d’emplois.

 

Toutefois, promouvoir un droit à la mobilité pour tous n’est-ce pas aller à l’encontre de nos engagements environnementaux ? Sur ce point, le LMI précise : la mobilité inclusive doit répondre aux enjeux de cohésion sociale et environnementaux. Cela implique alors d’intégrer des questions de « démobilité ». Les trajets pendulaires entre campagne et ville sont pénalisants pour l’individu et l’environnement. Pour cette raison, le LMI plaide pour des solutions de mobilité « inversée », en particulier dans les champs des services à la personne et du numérique.

 

Les territoires ruraux, les jeunes et la mobilité : un enjeu majeur

Si les territoires ruraux sont divers (périurbain, littoraux peu denses, montagne…), des caractéristiques communes (faible densité, importance des espaces naturels, éloignement de certains services) justifient l’existence de la notion de territoire rural. Celle-ci va, selon l’acception retenue, de communes de densité moyenne proches de grandes villes à des territoires éloignés de celles-ci et très peu denses. Les zones rurales peu denses regroupent 55 % des communes et 30 % de la population, selon la typologie européenne élargie de l’INSEE, et les zones rurales très peu denses 36 % des communes et 4 % de la population.

 

Pour Cédric Szabo, directeur de l’Association des Maires ruraux de France, on s’intéresse peu voire pas du tout à ce qu’il se passe sur les 90% de la géographie française. Le regard des politiques se porte rapidement sur les grandes métropoles. Or, pour lui, la situation est grave : le quotidien des ruraux est fortement marqué par les questions de mobilité ou de démobilité. L’accès à des solutions de mobilité se fait de plus en plus rare et le « tout voiture » devient une obligation pour se déplacer. Face à cette situation, l’agenda rural 2019 s’est fixé un objectif : zéro habitant à moins de 30 minutes d’un service public. Toutefois, pour Cédric Szabo, la priorité immédiate est de sensibiliser les élus pour qu’ils comprennent la gravité de la situation. Les pouvoirs publics ne sont, selon lui, pas assez réactifs à cette question. Enfin, Cédric Szabo rappelle l’importance de créer des emplois en zone rurale pour générer de la démobilité. Pour cela, il faut à la fois développer le télétravail et relocaliser les actifs. Une alliance entre le rural et l’urbain, entre le mobile et le non mobile, est donc à trouver. Si l’on parle souvent du « dernier kilomètre » en ville, c’est finalement davantage « le premier kilomètre » qui pose problème en zone rurale (Cédric Szabo).

 

Dans cette situation, les jeunes vivant en territoire ruraux sont les premières victimes. Selon l’INSEE, en 2006, en France métropolitaine, 14 % seulement des jeunes de 15 à 29 ans (soit 1,6 million de jeunes) résident dans l’espace à dominante rurale, alors que cet espace accueille 18 % de la population totale. Cette sous-représentation est plus ou moins marquée selon l’âge : 17 % des 15-17 ans résident dans l’espace à dominante rurale. Cette part passe à 13 % pour les 18-24 ans et remonte à 14,5 % pour les 25-29 ans. Cette faible représentation des jeunes en zone rurale s’explique notamment par le départ des 18-24 ans vers les pôles urbains pour étudier ou travailler. Cette situation est souvent mal vécue par les jeunes qui aimeraient pouvoir « vivre et travailler au pays » (LMI, 2018). La confiance dans les relations de proximité et la famille est plus forte (41 %) chez ces jeunes qu’en ville (35 %) (LMI, 2018). Il y a donc un fort attachement des jeunes à l’égard des espaces ruraux. Celui-ci est bousculé par une mobilité subie. Bertrand Coly, vice-président du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne et rapporteur CESE, souligne la difficulté à se déplacer pour les jeunes ruraux de moins de 18 ans, ou ceux qui n’ont pas encore leur permis, et notamment pour les filles qui ont tendance à moins recourir à l’autostop. Quant au passage du permis de conduire, les principaux freins évoqués sont le coût et l’éloignement des auto-écoles. Ainsi, l’obtention du permis de conduire est déterminante pour l’accès à l’emploi : 45 % des jeunes ayant le permis et sortant de CAP sont en emploi contre 19 % pour ceux qui n’ont pas le permis (Bertrand Coly). Enfin, la mobilité est aussi la capacité à se projeter au-delà de son « chez soi ». Or, les jeunes en territoires ruraux manquent souvent d’appétence pour une mobilité qui les conduirait à s’éloigner de leur territoire. Les associations, les structures d’accompagnements et l’école ont un rôle à jouer pour faire « apprendre la mobilité » (classes vertes, colonies de vacances, Erasmus…).

 

Ainsi, en faisant le lien entre territoires ruraux, jeunes et mobilité, on s’aperçoit que les décisions politiques permettent de réduire ou d’augmenter les choix de chacun ainsi que les inégalités engendrées par la mobilité. Comme l’a souligné le sociologue Vincent Kaufmann en deuxième partie, « se déplacer plus vite et plus loin ne signifie plus nécessairement être mobile ». Cette journée a montré qu’une réponse à ces enjeux nécessite une compréhension poussée de la vie des jeunes en territoires ruraux et celle de leurs parents. Hubert Joseph-Antoine, Président du LMI, conclue ces rencontres en montrant que, finalement, il s’agit moins « d’un sujet d’infrastructures, de voitures, mais plus de sujets d’école, de services, de représentations sociales des villes (…) Le cœur du sujet se trouve dans la vie des personnes et moins dans les transports ».

Ainsi, traiter les problématiques de déplacements uniquement du point de vue des transports ne suffit pas. Une partie des réponses se trouve ailleurs, en amont des déplacements.

 

Anna QUENNEVILLE – Consultante Mobilité Durable

 

Sources :

 

 

 

Contact

Une question ? Un projet ?

Logo ekodev

Ne manquez aucune actualité d’ekodev

S'inscrire à la newsletter