Dans un monde postpandémie, caractérisé par une réouverture de l’économie mondiale et l’émergence de nouveaux modes « hybrides » d’utilisation des bâtiments, les émissions de gaz à effet de serre mondiales du secteur immobilier ont atteint un niveau record de près de 10 gigatonnes de CO2 équivalent en 2021 (+5% par rapport à 2020 et +2% par rapport à 2019).[1] Au niveau national, d’après l’édition 2021 des Chiffres Clés du Climat, les consommations énergétiques de nos bâtiments génèrent 20% des émissions de gaz à effet de serre françaises.
Alors, quelles sont les raisons de ces émissions significatives de gaz à effet de serre ? Et pourquoi est-il nécessaire de prendre en compte les enjeux climatiques relatifs au secteur du bâtiment ?
Le bâtiment : premier consommateur d’énergie à échelle française
D’après le Bilan Energétique 2021 de la France, les bâtiments (résidentiels et tertiaires) représentent la moitié des consommations énergétiques finales du pays. Il s’agit du poste de dépenses en énergie le plus conséquent, loin devant les transports (28%), l’industrie (19%), ou encore l’agriculture (3%).
Lors de sa phase d’utilisation, un bâtiment consomme de l’énergie pour différents types d’usages : le chauffage, l’eau chaude sanitaire, la climatisation, l’éclairage, la cuisson… Parmi ceux-ci, le chauffage représente 61% des consommations énergétiques des logements et 72% des émissions de gaz à effet de serre associées. Il s’agit donc de l’un des enjeux principaux pour réduire les consommations énergétiques du secteur de l’immobilier.
Parmi les différentes typologies de bâtiments, le secteur résidentiel est le plus énergivore, et également le plus carboné. Cela s’explique, tout d’abord, par un enjeu de surface : à l’échelle du territoire, la surface résidentielle est plus importante que la surface tertiaire (bureaux, commerces, surfaces logistiques, etc.). D’autre part, à surface égales, les logements consomment plus d’énergie que les bâtiments tertiaires (notamment pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire). D’après l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID), un bâtiment résidentiel consomme en moyenne 183 kWhef/m².an, tandis qu’un bâtiment de bureau consomme en moyenne 146 kWhef /m².an (soit 20% moins). [2]
Le gaz et l’électricité sont les sources d’énergie les plus utilisées pour le chauffage des logements. Si l’électricité est un vecteur plutôt décarboné en France du fait de la production nucléaire, le gaz, lui, est plus problématique pour le climat. En effet, pour une même consommation énergétique, il possède un facteur d’émission environ quatre fois supérieur à celui de l’électricité [3]. Ainsi, comme stipulé sur le graphique ci-dessous, le gaz représente 30% des consommations énergétiques des logements français, mais plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre associées.
Le fioul, lui aussi, reste un enjeu fort de décarbonation. Malgré son remplacement progressif au profit du gaz, l’impact de ce vecteur particulièrement carboné reste notable à l’échelle du territoire français.
La dépendance au béton standard, mode constructif très émetteur de GES
De même que pour l’énergie, les matériaux utilisés pour la construction du bâtiment sont souvent synonymes de lourdes émissions de gaz à effet de serre. En effet, selon l’IFPEB, ceux-ci représentent environ 60% de l’impact carbone d’un bâtiment neuf. Cela est notamment dû à l’impact du gros œuvre (fondations, toiture, etc.) et à l’utilisation massive du béton.
Depuis le 20ème siècle, il s’agit du matériau incontournable de la construction. Le béton est utilisé pour les fondations, murs et plancher des bâtiments, mais également pour les ponts et infrastructures routières. D’après Le Hub des Prescripteurs Bas Carbone, 82% des logements collectifs et 74% des bâtiments tertiaires sont construits à partir de béton. Si cette option présente des atouts physiques indéniables (comme la pérennité, la résistance mécanique, l’inertie thermique ou l’isolation phonique), le béton est un mode constructif très émetteur de gaz à effet de serre.
Le béton est, en fait, d’un mélange de plusieurs composants : eau, granulats adjuvants, et ciment. Ce dernier est un liant hydraulique provenant de la calcination du calcaire et de l’argile (le clinker). Si le ciment ne représente en moyenne que 12% de la composition du béton, le poids carbone du matériau est principalement dû au clinker. Cela est dû principalement à deux phénomènes :
- La cuisson du clinker à 1 450°C via des combustibles fossiles ou de substitution est responsable d’environ un tiers des émissions de GES.
- La décarbonatation du calcaire lors de la cuisson émet directement du CO2, et est responsable d’environ deux tiers des émissions de GES.
Les données spécifiques sur les émissions de gaz à effet de serre peuvent varier en fonction des technologies utilisées, des pratiques spécifiques de l’industrie et des mesures d’atténuation mises en œuvre par une usine particulière.
Le besoin d’adaptation face aux risques physiques liés au changement climatique
Un autre sujet à prendre en compte lors de la conception d’un bâtiment est sa robustesse face au changement climatique. En effet, les risques physiques liés à la situation climatique sont nombreux (canicules, inondations, tempêtes, mouvements de terrains, incendies, sécheresses, etc.), et vont voir leurs fréquences et leurs intensités augmenter dans les prochaines années. Ces aléas extrêmes entraînent des conséquences sévères sur tout notre écosystème, et également sur nos bâtiments. A titre d’exemple :
- En 2021, les inondations ayant eu lieu en Belgique ont généré d’importants dégâts matériels (maisons effondrées et véhicules endommagés). Le bilan : 85 888 sinistres déclarés et un coût pour les assureurs de 2.6 milliards d’euros. [5]
- Côté français, en 2022, les feux de forêt ont atteint un niveau record avec une surface brûlée 7,5 fois supérieure à la moyenne annuelle des quinze années précédentes [6]. L’impact sur les bâtiments est direct : sur le chemin d’un feu de forêt en forte progression, ceux-ci peuvent être entièrement consumés par les flammes.
ADEME – ÉTUDE PROSPECTIVE SUR LES IMPACTS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE POUR LE BÂTIMENT A HORIZON 2030 ET 2050 – LES RÉSULTATS
D’après une étude menée par l’ADEME [7] (dont les résultats sont présentés ci-dessus), les risques principaux auxquels nous faisons face sont :
- Le risque de vague de chaleur, entrainant de potentiels dysfonctionnements des réseaux, notamment du fait d’une utilisation accrue de la climatisation.
- La sécheresse, pouvant entrainer un phénomène de retrait-gonflement des argiles. Celui-ci est lié aux propriétés physico-chimiques des argiles, qui peuvent augmenter leur volume (gonflement) lorsqu’elles absorbent de l’eau, et diminuer leur volume (retrait) lorsqu’elles en perdent. En France, environ 54 % des maisons individuelles sont situées en zone d’exposition moyenne ou forte au retrait-gonflement des sols argileux (RGA).
Ce résultat ne signifie pas qu’il faut minimiser d’autres risques impactant, comme les inondations ou feux de forêts. Cependant, les auteurs de l’étude ont considéré que les vagues de chaleur et sécheresse sont les principaux risques pour lesquels la réponse se construit à l’échelle du bâtiment, et n’est pas tributaire d’une décision territoriale.
Le soutien de la demande et du besoin incompressible de logements
Enfin, la prise en compte de tous les enjeux précédemment énoncés est d’autant plus importante que le besoin de se loger est essentiel et croissant.
Selon les projections de l’Insee, la France compterait 68,1 millions d’habitants en 2070, soit 700 000 de plus qu’en 2021[8]. Dans ce contexte de croissance démographique, la question de l’habitat se pose : le parc résidentiel est-il en capacité d’absorber une telle évolution ?
Si la situation pourra certainement être maîtrisée dans les zones rurales et péri-urbaines, la demande en logements est particulièrement forte dans les zones urbaines denses (à l’image de Paris et sa région). Afin de garantir l’accès au logement tout en limitant l’étalement urbain et les constructions neuves, une solution pourrait être de miser sur la réhabilitation et le changement d’affectation des logements vacants (représentant actuellement 8% des logements français [9]).
L’accès au logement reste un besoin incompressible, y compris dans un monde bas-carbone. En ce sens, le secteur de l’immobilier n’a pas d’autre choix que de perdurer et s’adapter aux enjeux climatiques.
Conclusion
Le bâtiment est le secteur d’activité français le plus consommateur d’énergie. En raison de l’utilisation de vecteurs énergétiques et de modes constructifs carbonés, il s’agit également du deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre.
Même si les bâtiments permettent de répondre au besoin incompressible de se loger, il est désormais indispensable de prendre en compte les enjeux carbones dans leur conception et exploitation. Pour cela, plusieurs leviers sont d’ores et déjà identifiés, et explicités dans l’article suivant.
Léa BERRY, Consultante climat
Bibliographie
[1] Rapport Sur L’état Mondial Des Bâtiments Et De La Construction En 2022, Programme des Nations Unis pour l’environnement
[2] Baromètre 2022 de la performance énergétique environnementale des bâtiments – Observatoire de l’Immobilier Durable
[3] Base Empreinte – ADEME
[4] Chiffres clés de l’énergie – édition 2021, Ministère De La Transition Ecologique Et De La Cohésion Des Territoires
[5] Article RTBF : https://www.rtbf.be/article/le-cout-des-catastrophes-naturelles-en-belgique-a-septuple-l-an-dernier-pour-atteindre-28-milliards-10950055
[6] Article Le Monde : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/22/incendies-six-cartes-et-graphiques-qui-montrent-un-premier-bilan-inedit-de-l-ete_6138700_4355770.html
[7] Ademe – Etude prospective sur les impacts du changement climatique pour le bâtiment à horizon 2030 et 2050 – les résultats
[9] Chiffres clés du logement – Edition 2022, Ministère De La Transition Ecologique Et De La Cohésion Des Territoires