Netflix, YouTube, Amazon, Skype … le secteur du numérique est sans conteste l’un des grands vainqueurs de la crise du coronavirus. Selon un article de MBA MCI Let’s go digital, les parts de marché d’Amazon seraient passées de 24 à 40% en Île-de-France, les téléchargements Netflix auraient augmenté de 65% en Italie et le trafic a tellement explosé sur YouTube que le débit a été réduit de 25% [1]. Mais quel est l’impact environnemental de nos ordinateurs et smartphones ?
La transition numérique est reconnue comme étant un levier de réduction de la consommation énergétique de nombreux secteurs. Pourtant la croissance rapide de l’industrie a induit une augmentation significative de sa consommation énergétique directe qui est loin d’être soutenable.
La consommation d’électricité du secteur du numérique s’élevait ainsi en 2019 à 1 300 TWh [2], contre 474 TWh pour la France, soit près de 3 fois la consommation totale du pays.
Si l’on raisonne en termes de consommation d’énergie finale, la consommation du numérique s’élevait à 2 373 TWh en 2015 [3]. Celle-ci est liée à 45% à la fabrication des équipements (ordinateur 17%, TV 11%, smartphone 11%, etc.) et à 55% à l’utilisation de ces équipements (terminaux 20%, data centers 19% et réseaux 16%).
Production & consommation de matériaux et d’énergie
En termes d’empreinte carbone, la phase de production est tout autant significative que la phase d’utilisation. Selon l’ARCEP, la conception d’un smartphone serait responsable à 80% des émissions de GES mondiales du produit. Autre ordre de grandeur intéressant, la fabrication d’un ordinateur nécessiterait 240 kg de combustibles fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1,5 tonne d’eau [6] !
Bien que la fabrication des équipements numériques consomme une quantité relativement faible de matières premières en comparaison de sa consommation en énergie fossile, ce sont des métaux et des terres rares, présents en très faible quantité dans la nature, qui sont nécessaires à leur conception. Ce sont ces mêmes métaux que nous retrouvons dans les technologies bas-carbones engendrant ainsi des tensions d’approvisionnement supplémentaires sur ces matériaux. Selon M. Bordage, fondateur de GreenIT, « au rythme où nous consommons les principaux minerais qui permettent de fabriquer le monde moderne, dans 30 ans, il n’y aura plus de stock » or, nous le savons, ces équipements ont pour principal usage le loisir…
Outre l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables, il existe également des enjeux sociétaux liés aux conditions d’extraction de ces ressources qui sont au centre de conflits géopolitiques. En République Démocratique du Congo et au sein de la région des Grands Lacs, il est question de « minerais de sang » puisque le commerce illégal de tungstène, d’étain, de tantale et d’or vient financer des conflits armés.
Enfin, les étapes de transformation et de fin de vie des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), souvent hautement toxiques, nécessitent des procédés chimiques à l’origine de pollution des eaux, des sols et d’enjeux sanitaires pour les populations.
Utilisation & consommation d’énergie
Si la production des équipements numériques est polluante, l’usage que nous en faisons l’est tout autant.
L’utilisation de terminaux est le premier poste de consommation d’énergie du numérique. Le visionnage de vidéos en ligne a notamment explosé générant 60 % du trafic internet mondial. Selon l’ADEME, nous passons ainsi en France entre 5 et 10 heures par semaine à regarder des vidéos et des films sur internet [8]. En termes de contenus, la vidéo en ligne se répartit entre la vidéo à la demande (VoD) (34 %), la pornographie (27 %), les « tubes » (YouTube, Dailymotion, etc.) (21 %) et les autres vidéos (18 %).
D’après un rapport du think tank The Shift Project publiait en 2019, l’impact carbone de la vidéo en ligne s’élèverait ainsi à 300 millions de tonnes de CO2 par an [10], soit 20 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie du numérique. Néanmoins, ces chiffres sont à manipuler avec précaution puisque l’estimation des consommations énergétiques liées à la phase d’utilisation est très incertaine. L’Agence Internationale de l’Énergie expliquait ainsi dans un récent article que le visionnage de 30 minutes de vidéo sur Netflix serait à l’origine de 0,028 à 0,057 kgCO2e contre 1,6 kg dans l’étude du Shift Project, soit 27 à 57 fois moins.
Les data centers abritent quant à eux plus de 50 millions de serveurs dans le monde, 2ème poste de consommation énergétique du secteur du numérique. Ces équipements de stockage et de diffusion d’information (messages, photos, vidéos, etc.) nécessitent de grandes quantités d’énergie pour fonctionner de manière continue, dont la moitié juste pour le refroidissement des machines.
Le rôle des activités professionnelles est également à prendre en compte. L’impact d’un simple mail peut varier du simple au quadruple selon la taille des pièces jointes et le nombre de destinataires. Ainsi, un mail avec une pièce jointe équivaut à la consommation d’une ampoule allumée pendant 24 heures [6]. Quand on sait que 10 milliards de mails sont envoyés chaque heure il y a de quoi avoir la tête qui tourne.
En ce qui concerne les réseaux, l’Autorité de régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) s’est penchée plus particulièrement sur le sujet. La 4G consommerait 50 kWh d’électricité par an en moyenne contre 5 kWh pour une connexion fibre. Par ailleurs, un équipement 5G consommerait trois fois plus qu’un équipement 4G. Il apparait alors nécessaire de se poser la question de l’utilité du déploiement de la 5G actuellement source de nombreux débats.
Empreinte carbone et sobriété numérique
Le numérique représentait 1 630 MtCO2e, soit 3,7% [3] des émissions de gaz à effet de serre mondiales en 2019. Les émissions du secteur ont connu une augmentation de moitié entre 2013 et 2018. À titre de comparaison, le secteur de l’aviation comptait pour 3,4% [7] des émissions mondiales.
Les émissions de l’industrie du numérique ont donc augmenté de 8% par an, suivant le rythme effréné des consommations d’énergie qui ont quant à elles augmenté de 9% [4] par an sur la période 2015 à 2020.
Il est néanmoins encore possible d’inverser la tendance, puisque selon The Shift Project la « Sobriété numérique » permettrait de réduire l’augmentation annuelle à 1,5% par an.
Voici quelques gestes simples à adopter pour un usage du numérique plus sobre :
- Acheter les équipements les moins puissants possibles
- Les changer le moins souvent possible
- Opter pour des appareils reconditionnés et réparer ses équipements
- Réduire les usages superflus
- Désactiver la lecture automatique des plateformes
- Réduire la définition des vidéos
- Éteindre sa box internet la nuit
- Éviter et réduire la taille des pièces jointes
- Cibler les destinataires de ses mails
- Trier régulièrement ses mails
- Remplacer les vieilles connexions cuivre par des raccords fibre.
Sources :
- [1] MBA MCI Let’s go digital : https://mbamci.com/coronavirus-big-bang-acceleration-numerique/
- [2] GreenIT, Empreinte environnementale du numérique mondial : https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019-10-GREENIT-etude_EENM-rapport-accessible.VF_.pdf
- [3] The Shift Project, Pour une Sobriété numérique, 2018 : https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/
- [4] ARCEP, L’empreinte carbone du numérique, 2019 : https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/reseaux-du-futur-empreinte-carbone-numerique-juillet2019.pdf
- [5] Greenpeace, Clicking Clean, 2017 : https://www.greenpeace.org/international/publication/6826/clicking-clean-2017/
- [6] Novethic, Les chiffres chocs de la pollution numérique, 2018 : https://www.novethic.fr/actualite/infographies/isr-rse/envoyer-un-mail-regarder-une-video-l-impact-environnemental-du-numerique-decode-145813.html
- [7] Agence Internationale de l’Énergie : https://www.iea.org/
- [8] ADEME, La face cachée du numérique : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf
- [10] The Shift Project, Climat : L’insoutenable usage de la vidéo en ligne, 2019 : https://theshiftproject.org/article/climat-insoutenable-usage-video/
- [11] Agence Internationale de l’Énergie, The carbon footprint of streaming video: fact-checking the headlines, 2020 : https://theshiftproject.org/article/climat-insoutenable-usage-video/
Johanna LARAND, Consultante Développement Durable