mobilite | 14/03/23

Décryptage du Plan National Covoiturage du quotidien

Décryptage du Plan National Covoiturage du quotidien

Après avoir apporté une première réponse réglementaire en 2018, les nouvelles mesures déclenchées en 2023 suffiront-elles à participer au décollage d’une pratique encore minoritaire ?

Le 13 décembre 2022, le gouvernement révèle son nouveau « Plan national Covoiturage du quotidien ». Celui-ci prévoit de mobiliser 150 millions d’euros à destination des particuliers et des collectivités pour atteindre le chiffre de 3 millions de trajets covoiturés entre le domicile et le lieu de travail à horizon 2027, contre environ 900 000 aujourd’hui. En décembre 2018 déjà, Elisabeth Borne alors ministre chargée des Transports mobilisait les principaux opérateurs privés du secteur et cherchait à atteindre les 3 millions de trajets à horizon 2024, mais les incitations financières suffiront-elles à lever les freins d’une pratique encore anecdotique ?

 

Démocratisation du covoiturage de longue distance

Il n’est presque plus utile de présenter aujourd’hui la notion de covoiturage. Force est de constater que la pratique s’est fortement popularisée ces dernières années, et le site Blablacar.fr (ex Covoiturage.fr) en est un véritable miroir de la pratique en France. Il est lancé en octobre 2007, alors que la pratique du covoiturage de longue distance était encore celle de quelques initiés, souvent issus du monde de l’auto-stop ou l’ayant pratiqué à l’étranger. Aujourd’hui, le site enregistre environ 25 millions de voyageurs chaque trimestre.

À chacun ses raisons pour organiser l’utilisation commune de son véhicule personnel sur son trajet : partage des dépenses, réduction de l’empreinte carbone, côté ludique de la pratique… Sans compter les éléments de contexte qui ont facilité son émergence : démocratisation des applications et sites dédiés, mouvements sociaux, envolée des prix des carburants…

Pourtant, si le covoiturage de longue distance s’est bien installé dans nos pratiques de déplacement, devenant une alternative sérieuse au train, le covoiturage dit « du quotidien » (sur des trajets domicile-travail inférieurs à 80 km) reste le parent pauvre de cette pratique. Un certain nombre de freins a empêché sa démocratisation, des freins déjà identifiés en 2018.

 

Le Plan Mobilisation pour le covoiturage au quotidien (2018) : une première réponse réglementaire

Le 11 décembre 2018, Elisabeth Borne, alors ministre chargée des Transports, réunissait des opérateurs de covoiturage, des collectivités et chefs d’entreprises pour amorcer la mise en place d’un premier plan national du covoiturage. Les acteurs réunis ambitionnaient de tripler le nombre d’usagers à horizon 2024. En effet, le covoiturage du quotidien y est présenté comme une solution clef en main pour la collectivité comme pour l’usager : mesure de pouvoir d’achat, désengorgement des infrastructures routières, réduction de la pollution, rapprochement à l’emploi des personnes non motorisées ou non desservies par des transports en commun, création de lien social … Pourquoi, dès lors, la pratique plafonne-t-elle à 3% de nos déplacements domicile-travail ?

Plusieurs freins sont identifiés : détour et perte de temps pour le conducteur, pratique non remboursée contrairement aux abonnements de transports en commun par exemple, dépendance au conducteur pour le passager … Face à ces enjeux, le plan identifie des pistes réglementaires permettant le remboursement du covoiturage du quotidien, l’activation de différents soutiens financiers de l’État (Certificat d’Économie d’Énergie, dotation de soutien à l’investissement local) et (soutien opérationnel aux collectivités, expérimentations de voies réservées au covoiturage, etc.).

 

La structuration de l’écosystème du covoiturage du quotidien

L’identification officielle de ce marché met en valeur des opérateurs de covoiturage du quotidien déjà existants ou émergents. Klaxit, Karos et Blablacar Daily par exemple interviennent sur les sites des entreprises pour promouvoir leur application, proposer un co-financement par l’employeur, l’animation d’une communauté. Les solutions Ecov et Rezo Mobiccop proposent une vision solidaire du covoiturage du quotidien en limitant les frais d’intermédiaire et en expérimentant avec des solutions de covoiturage plus spontané, comme avec les « lignes de covoiturage » avec l’appui des territoires. Tous ambitionnent d’apporter un « choc de simplification » à l’usager.

En parallèle, et élément très représentatif de l’esprit de ce premier plan, le Registre de Preuve de Covoiturage nait à la fin de l’année 2019. Celui-ci est nourri par les trajets réalisés sur les différentes plateformes de covoiturage et permet de centraliser les justificatifs de trajet. En 2021, c’est au tour de l’Observatoire national du covoiturage du quotidien de se structurer, premier outil transversal de suivi de l’évolution des pratiques enregistrées sur les plateformes.

Côté méthodologie, un trajet est enregistré pour chaque couple conducteur/passager : par exemple, un conducteur réalisant un déplacement avec 2 passagers contribuera à hauteur de 2 trajets dans la base. Cette subtilité a son importance : l’objectif de 3 millions de trajets affichés par le gouvernement concerne le nombre de véhicules en circulation, alors que la plupart des chiffres en circulation sont issus de l’Observatoire National du Covoiturage. Côté opérateurs, Klaxit se félicitait par exemple du chiffre de 5 millions de trajets effectués en 2022 tous opérateurs confondus, suite au lancement de son propre baromètre du covoiturage quotidien.

Ainsi, malgré cette nécessaire prudence méthodologique, le covoiturage du quotidien est désormais identifié, valorisé, et surtout quantifiable. Malheureusement, la pandémie de COVID entre le début d’année 2020 et le printemps 2022 a fragilisé une pratique à peine émergente, requestionnant notre rapport à la mobilité et à son pendant, la démobilité. En effet, le Registre de preuve de covoiturage enregistrait entre février et avril 2020 une division par 12 du nombre de mises en relation, passant de plus de 400 000 à à peine plus de 30 000. Le plan national covoiturage du quotidien dévoilé en décembre 2022 a l’ambition de redonner un second souffle à la pratique.

 

Les trois actions phares du Plan national de covoiturage du quotidien (2022) : rendre plus visible l’action de l’État

Le plan révélé le 13 décembre 2022 doit donc redonner de l’élan à une pratique qui peine à décoller. Sur les 14 mesures avancées, trois mesures sont présentées comme les actions phares du dispositif :

  • « Une prime de 100€ pour les primo-conducteurs » : cette prime est à destination des personnes n’ayant jamais covoituré en tant que conducteur auparavant, à condition de s’inscrire sur une plateforme de covoiturage participante. Le dispositif prévoit de verser au moins 25€ au premier trajet, puis le complément si 10 trajets sont réalisés dans les 3 mois suivant le premier trajet.
  • « Un soutien aux covoitureurs en complément des collectivités sur le principe 1€ de l’État pour 1€ de la collectivité » : le Gouvernement s’engage à financer la moitié des incitations au covoiturage mise en place par plusieurs collectivités locales pour encourager à s’engager dans cette pratique ou pérenniser la subvention qui permet aux passagers de voyager gratuitement (comme à Rouen, championne du covoiturage).
  • « Une mobilisation du Fonds Vert à hauteur de 50M€ en 2023 pour soutenir les collectivités » : Le Fonds Vert est rendu mobilisable par les collectivités sur le volet « développement du covoiturage » (financement d’études, de voies dédiées, aires, etc.)

 

Le gouvernement n’oublie pas que la structuration enclenchée en fin d’année 2018 doit se poursuivre

Les enjeux de structuration cités plus haut sont toujours ciblés parmi les mesures :

  • Organiser le suivi et l’évaluation du plan
  • Impliquer et structurer l’écosystème dans la dynamique du plan covoiturage
  • Améliorer l’information numérique sur le covoiturage en créant un point d’accès unique covoiturage national (recensant les subventions locales et les données sur les aires)
  • Renforcer l’observatoire national du covoiturage pour compléter et recenser les politiques locales en faveur du covoiturage

Mais la grande nouveauté de ce Plan est de mettre un fort accent sur les mesures de communication et d’accompagnement, ce que le précédent Plan ne faisait qu’à la marge :

  • Déployer un plan de communication à destination du grand public pour inciter au covoiturage
  • Accompagner les employeurs dans le développement de leurs politiques d’incitation au covoiturage : création d’un outil numérique de suivi et d’un label Employeur pro-mobilité durable
  • Communiquer et financer les solutions issues des hackathons Covoiturage et Challenge Nudge France et lancer de nouveaux hackathons numériques

La présence de ces mesures semble indiquer que le gouvernement a pris la mesure du choc de pratique qu’il reste à produire dans l’esprit des actifs français : on ne bouleverse pas un siècle d’autosolisme (pratique solitaire de la conduite) en un Plan. Enfin, certains publics sont ciblés en priorité par les mesures :

  • Développer le covoiturage auprès des agents publics
  • Mobiliser les principaux acteurs du départ et de l’arrivée (stations service, etc.) pour soutenir la pratique
  • Étudier le potentiel et les leviers de covoiturage en milieu scolaire, périscolaire et dans l’enseignement supérieur
  • Agir en faveur du covoiturage dans le cadre des grands événements sportifs et culturels

 

Quelle lecture faire de ce Plan, trois mois après son lancement ?

Fin janvier 2023, le gouvernement se félicite : il est estimé que 20 000 nouveaux conducteurs se sont inscrits sur les plateformes éligibles à l’aide. À titre d’exemple, l’application Blablacar Daily enregistre deux fois plus de nouveaux inscrits en janvier 2023 qu’en décembre 2022. Ces chiffres sont très encourageants pour la pratique, et les employeurs peuvent y contribuer : en communiquant en interne sur ces mesures, en invitant des opérateurs à présenter leur solution, en dédiant des places de stationnement au covoiturage par exemple.

Pourtant, certains éléments nous invitent à nuancer cet enthousiasme : alors que le calendrier se resserre sur les ZFE-m et sur les engagements français en matière climatique, ce nouveau Plan mise son ambition sur une sélection d’incitations. On peut dès lors s’interroger sur leur impact à moyen et long terme.

L’engagement de ces nouveaux conducteurs sera-t-il durable ? Resteront-ils actifs sur les applications une fois qu’ils auront bénéficié de la subvention ? De même, le frein identifié de « perte de temps » liée au détour du conducteur est peu adressé : seules 4 expérimentations de voies réservées au covoiturage sont menées aujourd’hui. Les conducteurs auront-ils la patience sur le long terme de s’investir dans le covoiturage du quotidien ?

Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et des Territoires, le rappelait lors d’un entretien accordé à France Inter le 13 décembre 2022  : « Il s’agit de changer les mentalités sur l’autosolisme ». Mais des incitations suffiront-elles, sans contraindre sur le stationnement par exemple ni sans réinterroger la place de la voiture dans nos villes de demain ?

 

Marc LE DIRAISON – Consultant en mobilité durable

Sources :

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