Un dispositif parlementaire complexe et ambitieux
Alors que l’échéance se rapproche inexorablement, les objectifs du Pacte vert pour l’Europe sont encore bien loin d’être atteints. Face à la pressante nécessité de répondre à l’accélération du dérèglement climatique, l’Union Européenne bouscule les codes du monde financier par l’introduction d’un dispositif réglementaire complexe et ambitieux : la taxonomie européenne sur les activités vertes.
La taxonomie : de quoi parle-t-on ?
Terme issu de la biologie pour décrire la science des classifications du vivant, la taxonomie s’est infiltrée dans le monde de la finance. La commission européenne a créé la taxonomie verte, un système de classification standardisé des activités économiques vertueuses pour le climat. Concrètement, la taxonomie établit des critères (et notamment un seuil d’émissions de CO2) permettant de définir une activité comme « verte » au niveau européen. Une activité verte au sens de la taxonomie, c’est donc une activité qui contribue à l’évolution positive du climat ou du moins, à l’atténuation du réchauffement climatique.
L’intérêt d’une telle classification est d’identifier les activités économiques favorables à la transition écologique et d’inciter les investisseurs à les soutenir en réorientant leurs capitaux vers ces activités.
Sorte de boussole environnementale européenne, la vocation de la taxonomie n’est autre que de mener l’Europe vers la neutralité carbone à l’horizon 2050, l’alignant ainsi sur les objectifs du Pacte vert pour l’Europe (Green deal) et de l’Accord de Paris.
Vouée à réconcilier les acteurs financiers, la taxonomie est la clé de voûte de toutes les réglementations sur la finance durable. Elle doit servir de langage commun, de référentiel pour tous les acteurs européens afin de garantir davantage de transparence et de fiabilité.
Suite à l’adoption du Règlement sur la Taxonomie en 2020, une proposition d’acte délégué sur le volet climat a été adoptée par la Commission européenne le 21 avril dernier. Cette dernière, fondée sur les travaux d’un groupe technique de 35 experts sur le financement durable (le TEG, Technical Expert Group), entrera en vigueur à partir de 2022.
Le fonctionnement de la taxonomie : quels critères pour être considérée comme une activité “verte” ?
Les activités concernées
Fruit de plusieurs années de travail, la taxonomie couvre 70 secteurs d’activités et 93% des émissions de gaz à effet de serre (GES) émis sur le territoire de l’Union européenne. Plusieurs niveaux de classification des activités ont été établis :
- Les activités vertes ou durables : ce premier niveau comprend les activités déjà considérées comme bas carbone et compatibles avec l’Accord de Paris, telles que les transports bas carbone.
- Les activités transitoires ou de transition : il s’agit des activités pour lesquelles il n’existe pas de solution de remplacement bas carbone, mais dont les émissions de gaz à effet de serre correspondent aux meilleures performances du secteur et qui s’inscrivent dans une trajectoire de décarbonation. On y retrouve par exemple la rénovation de bâtiments.
- Les activités habilitantes : ce niveau concerne les activités qui produisent de fortes émissions de carbone, mais permettent la réduction des émissions d’autres activités ou le développement de secteurs durables, en fournissant par exemple les composants ou combustibles nécessaires à certaines filières.
Pour être « taxonomie compliant », une activité économique doit passer quatre étapes de sélection :
1) Elle doit permettre de contribuer à au moins un des 6 objectifs environnementaux définis par le TEG (Groupe d’Experts Techniques) :
- Atténuation du changement climatique : l’impact d’une organisation sur l’environnement
- Adaptation au changement climatique : l’impact de l’environnement sur une organisation
- Utilisation durable et protection de l’eau et des ressources marines
- Transition vers une économie circulaire, prévention et recyclage des déchets
- Prévention et réduction de la pollution
- Protection des écosystèmes sains
Pour répondre à un objectif, une activité économique doit respecter certains critères qualitatifs et quantitatifs (méthodologies et seuils) qui seront définis pour chacun des 6 objectifs. À ce jour, seuls les critères des 2 premiers objectifs ont été détaillés et le travail de classification reste en cours sur les 4 objectifs restants.
2) Elle ne doit pas être néfaste aux 5 autres objectifs.
3) Elle doit répondre à des « minimum safeguards » qui consistent à respecter a minima les principes et droits fondamentaux du travail.
4) Elle doit respecter des critères d’examen techniques en fonction du secteur d’activité. À date, ces critères sont précisés pour 88 activités dans l’acte délégué du 21 avril relatif à l’atténuation.
Les critères ne sont pas figés et seront révisés régulièrement afin d’atteindre des objectifs plus ambitieux et de répondre au mieux aux évolutions technologiques, scientifiques, ainsi qu’aux nouvelles activités. Ce sera notamment le cas du seuil CO2 qui a vocation à être revu à la baisse tous les 3 ans.
Les implications de la taxonomie pour les entreprises et les investisseurs
Deux types d’acteurs sont concernés par la taxonomie : les entreprises et les investisseurs.
Les entreprises
L’article 8 du Règlement sur la Taxonomie et son acte délégué (adopté par la Commission européenne le 6 juillet 2021) prévoient des exigences de reporting supplémentaires pour toutes les entreprises de plus de 500 salariés, qui sont par ailleurs déjà concernées par la publication d’informations non financières dans le cadre de la NFRD – Non Financial Reporting Directive – (dont une révision nommée CSRD – Corporate Sustainability Reporting Directive – a été également proposée par la Commission européenne le 21 avril dernier).
Concrètement, dès janvier 2022 (sur l’exercice 2021), les entreprises concernées devront publier la part de leur activité compatible avec les deux premiers objectifs environnementaux de la taxonomie (atténuation et adaptation au changement climatique). Il s’agit de la part de leur chiffre d’affaires, de leurs dépenses d’investissement (CapEx) ainsi que de leurs dépenses d’exploitation (OpEx) associée à des activités économiques pouvant être considérées comme « durables » (1er niveau de classification de la taxonomie).
Pour ce qui est des quatre autres objectifs environnementaux, l’obligation de reporting s’appliquera l’année suivante (sur la base de l’exercice 2022).
Les investisseurs
Pour les investisseurs de tous types (acteurs des marchés financiers, institutions de supervision financière, ou encore États membres), il s’agit d’un usage volontaire : la taxonomie ne les contraint pas à investir, tout ou partie de leurs capitaux, dans les activités classifiées comme « vertes ».
Être « taxonomie compliant » : quels intérêts pour les entreprises et les investisseurs ?
Pour les entreprises
Bien que cela implique des exigences de reporting supplémentaires, les entreprises peuvent aussi y trouver leur avantage. La taxonomie peut effectivement leur servir de véritable « tampon vert », en leur permettant de démontrer plus facilement leurs efforts pour la transition bas-carbone et de les valoriser auprès de la sphère financière. Il s’agit certes, d’un travail de reporting supplémentaire, mais les données recueillies peuvent ensuite être valorisées auprès des clients, des parties prenantes. Investir dans cette complexité peut rapporter à long terme.
Pour les investisseurs
Bien que la taxonomie ne contraigne pas les investisseurs à investir leurs capitaux dans les activités considérées comme « vertes », cette classification leur est toutefois très utile. C’est un moyen pour eux d’être vus et reconnus comme des investisseurs verts. Ce langage commun leur offre davantage de garanties, de transparence et de fiabilité par rapport à des taxonomies « internes » plus hétérogènes. Mais c’est également un moyen pour eux d’acquérir une meilleure connaissance des risques et opportunités de leur portefeuille d’investissements. Grâce à la taxonomie, un investisseur pourra désormais déterminer avec exactitude et de façon consensuelle, la part verte de son portefeuille, ce qui réduit ainsi les risques de greenwashing.
Globalement, l’intérêt d’un tel dispositif est d’avoir une définition commune à l’ensemble des acteurs de ce qu’est un investissement vert.
Comment faire de la taxonomie un levier de relance et de transition verte ?
Les conditions de succès :
- Être applicable techniquement
La taxonomie est un outil très complexe dont il faut s’assurer qu’il reste cohérent avec les autres axes réglementaires. Cette complexité génère des exigences de reporting qui ne sont pas forcément à la portée de toutes les entreprises concernées. Face à cette transformation, une montée en compétences de tous les acteurs financiers sur le sujet du développement durable s’avère cruciale.
- Être mise au service de la transition
Un des enjeux majeurs de la taxonomie est de ne pas basculer dans une segmentation binaire et clivante entre les activités vertes et les activités non vertes (plus communément appelées brunes). Pour servir la transition verte, la taxonomie doit permettre de valoriser les trajectoires de décarbonation et d’accompagner la transition des entreprises encore fortement émettrices de CO2, en leur donnant la marche à suivre pour devenir « verte ».
- Être utilisée concrètement et utile à l’économie
La taxonomie est un outil mis à disposition de tous les acteurs ; il est impératif qu’ils l’utilisent. Il doit aussi servir de référence aux futures politiques publiques, en lien avec les Objectifs du Développement Durable.
Les limites de la taxonomie
Caractère non contraignant
Malgré son fort potentiel, il ne faut pas oublier que la taxonomie n’est qu’un label : elle ne pénalisera pas les organismes financiers investissant dans des activités à fortes émissions de C02. L’objectif est plutôt de tracer les flux financiers investis dans l’économie réelle et d’en mesurer l’impact environnemental.
Encore une partie dérisoire de l’économie classifiée
La taxonomie ne classifie pour l’instant qu’une toute petite portion de l’économie française (2 à 3% de l’économie globale) et notamment la partie la plus facile à classifier (le climat). Ainsi, la classification n’est finalisée que sur deux des six objectifs à date : l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique. D’autres sujets (regroupés dans les quatre autres objectifs environnementaux) restent encore à traiter comme celui de la biodiversité, de l’économie circulaire ou encore de la protection de l’eau. L’ambition est d’élargir progressivement le spectre de la taxonomie.
Une inflation du reporting
La taxonomie génère des exigences de reporting supplémentaires qui ne sont pas à la portée de toutes les organisations. Les entreprises soumises à la taxonomie doivent fournir un niveau de précision très élevé pour leur reporting extra-financier, niveau qui en devient même parfois plus pointu que pour le reporting financier.
Des secteurs d’activité en débat
Certains secteurs d’activité font l’objet de tous les débats comme le nucléaire et le gaz. Secteurs pour lesquels la Commission européenne a reporté sa décision au vu des désaccords qu’ils suscitent. D’autres questions subsistent comme celle d’aller vers une taxonomie brune qui classifierait les activités néfastes pour l’environnement. Un point en cours d’étude par la Commission européenne qui doit produire un rapport sur le sujet d’ici à la fin de l’année.
Malgré ces quelques points d’attention, la taxonomie verte représente tout de même une avancée majeure dans le monde de la finance et une référence européenne à vocation de devenir internationale. Désormais, ce sont aux acteurs financiers et publics de s’en saisir et de l’utiliser pour accélérer la transition vers un monde décarboné.
Mélanie HALLERY, Consultante RSE