Les entreprises et leur raison d’être
La loi PACTE, ou le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises, qui doit faire gagner 1 point de PIB à long terme à l’économie française, veut repenser la relation de l’entreprise avec la société, notamment en intégrant dans les textes de loi la notion d’« objet social ». Cette notion, qui pourrait sembler anodine dans une loi multithématique, est pourtant un point central et pourrait/devrait bouleverser les entreprises et leur fonctionnement.
La RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), devenue un enjeu de plus en plus important pour les entreprises au fil des années, est à la base de la loi PACTE issue des recommandations du rapport Notat-Sénard. En incitant les entreprises françaises à mettre les problématiques environnementales et sociales au cœur de leur stratégie, cette loi a pour but de les transformer en profondeur.
Un objet social, pourquoi faire ?
51% des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble. Actuellement, il n’y a aucune notion « d’intérêt social » ou « objet social » qui y soit évoquée. Ainsi, l’objectif de la loi est d’abord d’introduire le concept d’utilité sociale et environnementale de l‘entreprise dans le droit français et d’inciter les entreprises à s’interroger sur leur raison d’être.
Qu’est-ce que cela va changer ?
Début octobre, une première lecture du projet de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale. Les textes votés auront pour impact une modification du Code civil et du Code de commerce. Ainsi, la notion d’intérêt social de l’entreprise sera désormais présente dans le droit français. L’article 1835 du Code civil sera modifié pour permettre aux entreprises qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts.
D’autre part, le statut de « société à mission » pourra être accordé à toute forme juridique répondant aux critères suivants :
- La formulation de la « raison d’être » devra être explicitement présentée dans les statuts.
- Un organe social distinct des organes sociaux obligatoires sera mis en place et devra permettre de vérifier et contribuer à l’application de ladite mission dans la stratégie de l’entreprise.
- Enfin, cet organe de suivi devra également présenter un rapport annuel aux actionnaires, communiqué sur le site internet, qui fera état des lieux des engagements pris pour la réalisation de la « raison d’être ».
Pourquoi est-ce important ?
À l’heure où les slogans sans réelle identité se multiplient, la définition d’une mission pour toutes les entreprises permettrait de repenser l’essence même de celles-ci. La raison d’être d’une entreprise doit promouvoir et refléter l’identité propre de l’entreprise et des collaborateurs qui la composent. Les changements actuels poussent les entreprises à se réinventer en mieux pour s’adapter. Pour répondre à cette tendance, des nouvelles formes de management apparaissent et prônent des modèles plus « libérés » afin de recentrer l’humain au cœur de son fonctionnement.
La Loi PACTE va dans ce sens et invite les dirigeants à impliquer davantage les salariés dans la réflexion sur la contribution de leur entreprise dans la société.
D’autre part, donner une raison d’être à l’entreprise, en co-construction avec ses salariés, permettra un engagement plus important de ceux-ci et donnera un sens et une direction claire à chacune de leur décision. Ce changement pourrait avoir un impact sur le sentiment d’appartenance des salariés, mais aussi sur leur autonomie et leurs prises d’initiatives.
D’ailleurs, dans un entretien accordé au journal Le Monde le 12 mars 2018, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a notamment déclaré : « aucune entreprise ne peut plus envisager son succès et son profit sans considérer les impacts sociaux de son activité (…). Le capitalisme ne doit pas se limiter à la réalisation de bénéfices. Il doit avoir une ambition bien plus vaste : participer à la transformation de la société et à l’amélioration de la vie quotidienne de chacun ».
Est-ce suffisant ?
Pour la raison d’être et l’intérêt social, les débats n’ont pas permis de formuler une définition arrêtée sur ce que devrait être les finalités d’une société en tant que personne morale. Cela implique que les entreprises n’auront pas d’obligation de résultat, mais uniquement des obligations de moyen, alors que le rapport de Nicole Notat et Jean Dominique Sénard prévoyait d’imposer aux entreprises dotées d’un conseil d’administration de définir une raison d’être pour leur société.
Le rapport recommandait également la création d’un nouveau statut juridique qui valoriserait les « entreprises à mission » pour les entreprises pionnières en matière d’engagements sociétaux et environnementaux. Ce statut juridique ne fait plus partie du projet de la loi. Désormais, les entreprises sont simplement invitées à définir elles-mêmes des statuts types ou des labels pour répondre à cette préoccupation, notamment pour la composition de l’organe consultatif et donc de son objectivité à évaluer les engagements de l’entreprise vis-à-vis de la raison d’être.
Conclusion
Malgré des modérations effectuées entre les recommandations du rapport et le projet de loi présenté, ces mesures peuvent être considérées comme une réelle avancée, puisque les enjeux environnementaux et sociétaux seront désormais inscrits dans le Code civil. Les divergences sur le sujet ont été nombreuses durant les mois de débat autour du projet de loi. Mais force est de constater que la RSE prend désormais part au débat public et peut être réellement considérée comme une source de création de valeur pour les entreprises.
Note : Prochaine étape, le projet de loi Pacte devrait être présenté au Sénat à partir de Janvier 2019.
Paul MADOZ , Consultant RSE
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