Le droit international de la biodiversité s’est construit peu à peu, traité après traité, avec la prise de conscience de son importance pour l’équilibre des écosystèmes. Son érosion induit une crise sans précédent qui nous conduit tout droit vers la 6ème extinction de masse. La limite planétaire concernant la biodiversité a été franchie, et cela signifie que nous sommes bien en deçà des conditions optimales pour que la Terre conserve son intégrité fonctionnelle. Cette perte de diversité compromet la sécurité alimentaire mondiale, la pérennité de nos activités économiques et la situation continue de s’aggraver.
Le droit international de la biodiversité, une histoire qui a commencé il y a déjà un moment…
Un premier temps, et dès la fin du 19ème siècle, le droit international s’est focalisé uniquement sur la protection des animaux, des espèces emblématiques et des espèces exploitées. Or la définition de biodiversité est bien plus large et toutes ses composantes doivent être prises en compte pour que sa préservation soit efficace. L’idée que la préservation de la faune et de la flore passait également par la protection de leurs habitats et des milieux naturels n’est arrivée que plus tard. Les préoccupations surviennent dès la colonisation des premiers territoires et Dès le début des années 1900, des conventions pour la protection des oiseaux « utiles » à l’agriculture, et d’autres propres à certaines espèces bien précises sont mises en place. C’est en 1946 que la première convention de protection de la nature à vocation universelle est signée par une quinzaine d’états. La Convention relative aux zones humides d’importance internationale signée à Ramsar en Iran en 1971 souligne la compréhension des enjeux liés à ces milieux riches en biodiversité. Elle est d’ailleurs toujours d’actualité aujourd’hui, tout comme d’autres conventions qui sont adoptées dans les années qui suivent, telles que la Convention de l’UNESCO qui concerne la protection du patrimoine mondial naturel et culturel, la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ou encore la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) aussi appelée Sommet de la Terre, marque une étape majeure pour le droit international de la biodiversité en 1992. La Convention sur la diversité biologique a été adoptée lors de cette réunion intergouvernementale. C’est un traité international qui vise à sauvegarder la diversité biologique et les avantages qu’elle fournit aux populations. La Conférence des Parties (COP), organe directeur de cette Convention est composée de tous les gouvernements qui ont ratifié le traité (les Parties). Les Parties se réunissent tous les deux ans pour examiner les progrès accomplis, établir des priorités et décider de plans de travail. Les réunions concernent à la fois les espaces, les espèces et les relations entre eux. Cette Convention marque le début d’une alliance entre différents gouvernements pour lutter ensemble pour la préservation de la biodiversité.
Évolution et construction de cadres en faveur de la préservation de la biodiversité à l’échelle européenne et à l’échelle internationale
Les cadres mondiaux et les réunions intergouvernementales à l’échelle internationale :
À l’échelle internationale, 193 pays ont adopté à l’ONU en septembre 2015, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 qui définit 17 « Objectifs du Développement Durable » (ODD), dont certains concernent la préservation de la biodiversité. Cette feuille de route universelle concerne tous les pays, au Nord comme au Sud, et s’appuie sur 5 grands enjeux transversaux : les peuples, la planète, la prospérité, la paix et les partenariats. Les objectifs 14 (« Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ») et 15 (« Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des terres et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité ») sont directement orientés sur la préservation de la biodiversité.
Dans le même sens, il existe plusieurs modèles de reporting volontaires internationaux. La GRI (Global Reporting Initiative) est une initiative internationale, fondée en 1997, à but non lucratif et indépendante, qui crée un cadre de travail commun pour l’élaboration des rapports développement durable. Un autre réseau mondial est le SBTN (Science Based Targets Network) qui est constitué de scientifiques, d’entreprises, de consultants et de groupes environnementaux. Le SBTN travaille également sur la création d’un cadre de reporting pour qu’une entreprise (ou une ville) puisse protéger et restaurer les biens communs mondiaux en plusieurs étapes (évaluer, interpréter et prioriser, mesurer, établir et publier, agir). Un autre groupe de travail international, la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures), s’est lancé en 2021 vise à poser un cadre international pour la mesure d’empreinte biodiversité pour les portefeuilles financiers. La version finale du cadre mis en œuvre par la TNFD sortira en septembre 2023. La démarche des entreprises de suivre le cadre de travail énoncé par la TNFD est entièrement volontaire, tout comme pour la GRI et le SBTN. Ces 3 référentiels mondiaux promeuvent l’idée que limiter les pressions exercées sur la biodiversité n’est pas suffisant pour la préserver et qu’il est essentiel de la régénérer par le biais de contributions positives.
Ensuite, la COP 15 Biodiversité s’est tenue à Montréal du 7 au 19 décembre 2022 sous présidence chinoise. La Convention sur la Diversité Biologique (CBD), traité multilatéral adopté lors du sommet de la Terre à Rio en 1992 est à l’origine de ces rassemblements bisannuels, qui impliquent 196 gouvernements. Ce regroupement intergouvernemental s’est conclu par l’accord de Kumning-Montréal et a permis de structurer un nouveau cadre stratégique mondial fixant quatre objectifs globaux de protection de la nature pour 2050 :
- Conserver la diversité biologique, maintenir et restaurer l’intégrité des écosystèmes ;
- Utiliser et gérer durablement la biodiversité ;
- Mettre à disposition les ressources nécessaires ;
- Partager de façon juste et efficace les avantages de l’utilisation des ressources génétiques.
Dans ces 4 objectifs globaux figurent 23 cibles qui précisent les objectifs à atteindre mais qui restent vagues, car le cadre posé n’est pas règlementaire, peu contraignant et comporte peu d’objectifs chiffrés. Néanmoins, il pourrait servir d’appui pour de nouveaux projets de loi aux échelles européenne et nationale, afin d’instaurer de nouvelles règlementations en faveur de la préservation de la biodiversité.
Par ailleurs, les États membres de l’ONU se sont mis d’accord le samedi 4 mars dernier sur « le traité de protection de la haute mer », après plus de quinze ans de discussion. La haute mer, qui représente plus de 60% des océans, n’est actuellement soumise à aucune juridiction. Avec ce traité international, davantage de zones marines seront protégées. Ces écosystèmes fragiles qui abritent une biodiversité très riche sont parfois peu connus et sont également d’importants réservoirs de carbone. Il est alors essentiel de les préserver. C’est un tournant décisif pour la biodiversité marine, qui permettra peut-être d’atteindre une partie des objectifs fixés lors de la COP15. Mais pour l’instant, aucun texte formel, ni statut juridique, ni délai de ratification ne justifient ce traité, affaire à suivre…
La biodiversité s’impose ainsi progressivement comme une préoccupation majeure pour le monde économique, et fait l’objet de nombreux travaux, feuilles de routes et traités qui se mettent en place. Ces cadres de référence servent d’appui pour la règlementation de l’Union européenne et pour les gouvernements qui s’engagent en faveur de la biodiversité.
La règlementation en faveur de la préservation de la biodiversité à l’échelle européenne :
À l’échelle européenne, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), directive européenne votée au parlement fin 2022, et qui fait partie du Green Deal européen, vise à faire évoluer le reporting des entreprises en y intégrant la biodiversité. Elle remplace une ancienne norme (la NRFD) et concerne 5 fois plus d’entreprises, car le scope étendu jusqu’à 2029 va couvrir 50 000 entreprises. Les États membres de l’Union européenne ont 18 mois pour retranscrire cette directive en droit national. La CSRD impose plusieurs secteurs de reporting (gouvernance, social, environnement, etc.) et les ESRS (European Sustainability Reporting Standards) sont des normes définies dans chacun de ces secteurs qui structurent la règlementation pour le reporting des entreprises. Dans la section environnement, de nouvelles ESRS concernent la biodiversité et les écosystèmes ce qui imposera aux entreprises beaucoup de transparence vis-à-vis de leurs pressions et dépendances en termes de biodiversité, des études et analyses pour favoriser sa préservation, et ce à l’échelle des 3 scopes. Cette directive entrera en vigueur en 2024 et de plus en plus d’entreprises seront concernées au cours du temps jusqu’à s’étendre à toutes les entreprises à partir de 2028. Le secteur privé se devra donc de faire preuve d’implication pour agir en faveur de la préservation de la biodiversité.
Toujours à l’échelle européenne, et quelques jours avant le début de la COP15, la première loi au monde sur la déforestation importée a été adoptée par les législateurs européens. Les entreprises seront désormais obligées de publier une déclaration de devoir de vigilance pour pouvoir vendre des produits tels que le café, le cacao et le bois sur le marché européen, en remontant leur chaîne d’approvisionnement et prouver qu’aucune forêt n’a été récemment déboisée, sous peine d’une amende.
En ce qui concerne l’utilisation des néonicotinoïdes en Europe, elle a été définitivement interdite le 19 janvier 2023. Depuis ce jour, les États membres de l’Union européenne ont pour interdiction la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes. C’est un grand pas pour la préservation des pollinisateurs et de la santé humaine. Une proposition de loi en France est actuellement en cours, car malgré l’interdiction de l’utilisation des néonicotinoïdes en 2020 en France, des dérogations permettent encore aujourd’hui de les utiliser pour la culture de betteraves sucrière, victimes de la jaunisse transmise par les pucerons.
Évolution des lois et construction de cadres en faveur de la préservation de la biodiversité à l’échelle nationale
À l’échelle nationale, de nombreuses lois et stratégies avec des plans d’actions ont été définies au cours du temps.
En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages lance une démarche pour la préservation de la biodiversité. Cette loi vise à protéger et valoriser notre patrimoine naturel. Le prisme de la loi axé sur la biodiversité stipule de répondre concrètement aux enjeux biodiversité, de réaffirmer que la biodiversité est l’affaire de tous, de protéger les espèces en danger, les espaces sensibles et la qualité de notre environnement, de faire de la biodiversité un levier de développement économique, et place l’Agence française pour la biodiversité comme étant un opérateur de référence au service d’un nouveau modèle de développement. Cette agence opérationnelle depuis le 1er janvier 2017 et aujourd’hui appelée Office Français de la Biodiversité (OFB), née de la fusion entre l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), coordonne et exerce des missions de préservation, de gestion et de restauration de la biodiversité en mettant à contribution les collectivités, qui peuvent mettre en place des agences à l’échelle régionale (Agences Régionales pour la Biodiversité, appelées ARB), au service de la biodiversité. Tout l’objectif est de réduire à zéro la perte nette de biodiversité.
La Stratégie Nationale Biodiversité (SNB) traduit l’engagement de la France au titre de la convention sur la diversité biologique en définissant des feuilles de route pour la préservation de la biodiversité à l’échelle nationale. La SNB définit sur la période 2022-2030 succède à deux premières stratégies qui ont couvert les périodes 2004-2011 et 2011-2020. La feuille de route à l’horizon 2030 et définie en 2022 repose sur plusieurs axes avec des mesures en lien avec la préservation des zones humides, la préservation des sols, l’élargissement du service national universel à la protection de la biodiversité et bien d’autres encore.
Le Plan biodiversité, dévoilé le 4 juillet 2018, rebondit sur la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016 et qui vise à renforcer son action pour réduire à zéro la perte nette de biodiversité et pour accélérer la mise en œuvre de la SNB. Ce plan rappelle la richesse de la biodiversité nationale ainsi que l’importance des services qu’elle nous apporte, et l’ensemble du Gouvernement prend des engagements. L’objectif de ce plan est de rendre acteur les collectivités, entreprises, associations et citoyens dans la lutte pour la crise de la biodiversité. Il repose sur 6 axes stratégiques, eux-mêmes décrits par 24 objectifs et 90 actions structurantes qui le rendent concret.
Ces lois et feuilles de route restent pour la plupart non contraignantes, et à l’heure d’aujourd’hui, les nombreux objectifs fixés ne restent que faiblement atteints. De même, la loi Labbé qui régit l’utilisation des produits phytosanitaires en France s’est durcie récemment, au profit de la biodiversité.
La loi Labbé interdit en France, le 1er juillet 2017 l’usage des produits phytosanitaires par l’État, les collectivités locales et les établissements publics pour l’entretien des espaces verts, promenades, forêts et voirie. Cette loi élargit son champ d’action depuis le 1er juillet 2022 en interdisant même l’usage dans les propriétés privées, les parcs et jardins privés, les campings, les zones commerciales, les cimetières, etc.
Publié en mai 2021, le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie-climat encadre le reporting extra-financier des acteurs de marché. Ce nouveau décret impose de nouvelles exigences en matière de biodiversité, car il impose à davantage d’entreprises la prise en compte des risques liés à la biodiversité.
Par ailleurs, le ZAN voté en 2021 suite à la loi énergie-climat vise à limiter l’extension urbaine et à conserver davantage les milieux naturels du territoire. Les objectifs du ZAN sont de réduire par deux la consommation des espaces NAF (naturels agricoles et forestiers) d’ici 2031 et d’arriver à un équilibre entre quantité de sols artificialisés (sols dont les fonctionnalités biologique, hydrique, climatiques avec un potentiel agronomique ont été dégradés) et quantité de sols renaturés (sols dont les fonctionnalités ont été restaurées) à l’horizon 2050, ce qui favoriserait largement la préservation de la biodiversité et le stockage de carbone.
Enfin, la stratégie nationale contre la déforestation importée, a été adoptée en novembre 2018.
Conclusion : de nouvelles lois françaises et européennes à venir
Avec le temps, des cadres de référence volontaires à l’échelle internationale se créent et se précisent et les regroupements intergouvernementaux fixent des objectifs clairs sur lesquels les règlementations à l’échelle européenne et nationale s’appuieront. L’accord de Kumning-Montréal qui fait suite à la COP15 du mois de décembre 2022 a marqué la lutte internationale dans la crise de la biodiversité et des nouveaux projets de loi feront suite à ce rassemblement historique. Il est temps pour les entreprises et les territoires d’agir, afin de se préparer à supporter ces nouvelles règlementations qui nous l’espérons, seront à la hauteur des enjeux.
Louise LENOT- Consultante biodiversité
Sources :
- Académie de droit international de la Haye, publié en 2021. Le droit international de la Biodiversité
- Nations Unies. Journée internationale de la diversité biologique
- Nations Unies. Objectifs de développement durable : 17 objectifs pour transformer notre monde
- WWF. Intégrer l’entreprise dans les limites planétaires – retour d’expérience sur les méthodologies SBTN et CARE
- FEITZ Anne, publié le 6 mars 2023. Accord historique à l’ONU pour protéger la haute mer
- GUEZEL Louisiane, publié le 7 décembre 2022. Réglementations pour une neutralité carbone mondiale : les nouvelles règles de reporting
- TAYLOR Kira, publié le 6 décembre 2022. La déforestation n’a plus sa place dans les chaînes d’approvisionnement de l’UE
- Assemblée nationale, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2023. Proposition de loi visant à rendre définitive l’interdiction des néonicotinoïdes
- Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires & Ministère de la Transition énergétique, publié le 28 août 2017. Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
- FORTIN Frédéric, publié le 16 mars 2022. Stratégie nationale biodiversité… acte I
- Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires & Ministère de la Transition énergétique, publié le 29 septembre 2021. Plan biodiversité
- Direction de l’information légale et administrative, publié le 5 juillet 2022. Interdiction des pesticides : de nouveaux lieux concernés depuis le 1er juillet
- DAUBIE Roxane, publié le 6 décembre 2022. Entreprises & forêts : l’urgence de la zéro-déforestation