mobilite | 20/10/23

Sobriété et automobile : où en sommes-nous vraiment ?

Sobriété et automobile : où en sommes-nous vraiment ?

En août 2022, Emmanuel Macron déclarait la fin de l’abondance pour l’économie française. L’automobile, fer de lance de cette économie, est le mode de déplacement du quotidien le plus énergivore rapporté aux passagers qu’il transporte. Souvent choisis par manque d’alternative, mais aussi par confort, les Français et Françaises, entreprises et collectivités disposent de nombreux leviers pour réduire la dépendance énergétique engendrée par ce mode de déplacement.

Rappel : la sobriété est un levier de décarbonation nécessitant une planification dédiée sur le court, moyen et long terme. On s’intéresse dans cet article à l’énergie consommée, non à l’intensité carbone (émissions de CO2) du carburant. L’électrification et les carburants alternatifs sont exclus du périmètre.

À travers cet article, on s’intéresse aux facteurs suivants :

Figure 1 : Equation de Kaya

Différents leviers ont été actionnés pour réduire la consommation énergétique des transports depuis 2022. Ces leviers sont parfois subis en raison d’une conjoncture peu favorable à l’automobile, mais aussi planifiés par l’État et les employeurs.

L’objectif : atteindre la neutralité carbone en 2050 fixée par les accords de Paris, structurée par la Stratégie Nationale Bas Carbone.

Figure 2 : Trajectoire des émissions de CO2, Stratégie Nationale Bas Carbone

 

Pour atteindre cette neutralité, les émissions de GES liés aux transports doivent être réduites de 70% en comparaison à 2015.

Efficacité énergétique des véhicules

L’évolution des ventes de véhicules depuis 1990 montre une hausse presque constante de la puissance. Cette hausse est particulièrement marquée depuis l’essor des SUV en 2010. À ce jour, la puissance des véhicules vendus en France stagne à 86 kW (environ 120ch). Cette puissance moyenne est considérée comme élevée en comparaison aux années 90 où la puissance était 72% inférieure. En d’autres termes, l’efficacité énergétique des véhicules gagnée grâce au progrès technique a permis aux constructeurs de proposer des véhicules plus imposants à défaut d’engendrer une réduction de la consommation.

Figure 3 : Evolution de la puissance moyenne – Véhicules particuliers neufs – ADEME

On peut aussi rapprocher cette hausse de puissance aux immatriculations de véhicules d’entreprises. À ce jour, près de 50% des véhicules commercialisés sont des véhicules d’entreprises, répondant à des exigences de véhicules de statut (chefs d’entreprises, cadres) et donc souvent plus puissants.

Autre levier de l’efficacité énergétique du véhicule : la pratique de l’écoconduite. Celle-ci se diffuse progressivement au sein des entreprises. Permettant de réduire la consommation de carburant de 20% en moyenne d’un véhicule, cette optimisation est un véritable levier pour réduire la dépendance énergétique et les coûts associés. L’écoconduite ne se réduit pas seulement à réduire sa consommation, mais aussi à travailler son anticipation du trafic, ses freinages, la gestion des courbes par exemple. À travers l’écoconduite, ce sont des millions de tonnes de CO2 qui pourraient être évitées.

Augmentation du taux de remplissage des véhicules

Deuxième pilier de la sobriété automobile, le remplissage des véhicules, un axe d’amélioration considérable. Occupé par, en moyenne 1,43 personne pour les trajets domicile-travail, le véhicule individuel est un véritable gouffre financier et environnemental pouvant être optimisé. En décembre 2022, le gouvernement annonçait un plan covoiturage afin d’accélérer le développement de cette pratique. L’objectif à fin 2027 est de passer les 3 millions de trajets quotidiens. À ce jour, le covoiturage connait un réel essor (+ 32% entre septembre 2022 et 2023) et de nombreux territoires et entreprises s’emparent de cette solution. La barre du million de trajets sur des plateformes de covoiturage réalisés a été franchie en mars 2023.

Les effets escomptés de ce plan sont considérables pour l’environnement : plus de 4,5 millions de tCO2e pourraient être évités chaque année. Toutefois, malgré la gratuité des trajets permise grâce aux subventions du gouvernement et des collectivités, cette pratique peine à décoller, en milieu rural notamment.

En tant que vecteur de lien social, l’employeur a un grand rôle à jouer dans le développement de cette pratique. Le covoiturage s’intègre dans le Forfait mobilités durables, et peut être structuré grâce à la mise en place d’une feuille de route dédiée. Le succès de cette solution n’est toutefois plus à prouver :

Réduction de l’offre et report modal

Lorsque l’on parle de sobriété, la demande est souvent l’angle choisi, mais en raison du lien étroit qu’ils entretiennent, l’offre joue également un rôle important.

De ce point de vue là, la tendance est plutôt favorable à la sobriété. En 2022, la vente de véhicules a chuté de 8%. La conjoncture actuelle (inflation, tensions d’approvisionnement) nuit à la vente de véhicules. Par ricochet, les TCO (coût total de possession) de flotte connaissent une forte augmentation : +15% en mars 2023.

Sous le prisme de la demande, cette tendance s’observe à travers l’essor de l’autopartage : partage d’un véhicule détenu par un particulier ou une entreprise. On distingue plusieurs types d’autopartage : en boucle- (location Sixt ou Hertz par exemple), freefloating (Citiz, Getaround, Zity), trace directe (Sixt ou Hertz). L’autopartage se pratique aussi bien pour les déplacements utilitaires (courses, encombrants) que pour les loisirs (tourisme…).

L’autopartage connait une croissance considérable : +43% entre 2022 et 2023. A l’échelle locale, des villes comme Lyon ou Marseille voient des solutions comme Citiz ou Getaround augmenter progressivement le nombre de véhicules mis en service. La flotte lyonnaise devrait ainsi passer de 400 à 600 véhicules début 2024 pour 10 000 usagers quotidiens. Avec 926 communes équipées d’un service d’autopartage, c’est près de 27 millions de Français et Françaises qui sont couverts par cette alternative à la voiture individuelle. On estime par ailleurs que 17% des Français et Françaises seraient prêts à se passer totalement de leur véhicule.

En milieu rural, la pratique de l’autopartage bien que moins évidente connait elle aussi une dynamique positive. Des communes comme Vert et Sorges (Périgord) ou Lunéville (Meurthe-et-Moselle) proposent un service d’autopartage à leurs habitants.

Côté employeur, cette pratique a également le vent en poupe avec des expérimentations d’autopartage interemployeur sur la commune d’Audun-le-Roman, Piennes, Val de Briey. L’acquisition de ces véhicules (et de leurs 5 bornes de charge dédiées), réservés dans un premier temps aux employeurs publics et privés, est financée par l’État. À l’échelle des employeurs les flottes d’entreprises partagées connaissent également un fort succès : l’autopartage représenterait 17% des solutions déployées par les employeurs pour optimiser leurs flottes.

Modération de la demande

La modération de la demande se traduit par un travail sur les infrastructures routières afin de réduire le besoin énergétique et donc kilométrique.

Premier levier : les limitations de vitesse. À ce jour, la dynamique est plutôt défavorable. Le gouvernement a récemment rétropédalé sur la limitation de vitesse à 80km/h. Ainsi, 50% des départements sont revenus aux 90km/h initiaux. Mais c’est sur les axes autoroutiers, là où la réduction de consommation de carburant serait la plus conséquente, que l’État pourrait agir en faveur d’une limitation de vitesse de circulation à 120 voire 110km/h. Cette mesure permettrait de réduire de 16% la consommation de carburant et les émissions de CO2 associées, soit 1 million de tCO2e. Mais la France est loin d’être le pire élève ; des pays comme la République tchèque ou l’Italie envisagent un passage à 150km/h, de quoi assurer une dépendance énergétique soutenue.

En milieu urbain, en revanche, les zones 30 se multiplient. Bien que la réduction des émissions de CO2 soit prouvée à travers cette mesure, c’est davantage la cohabitation avec d’autres modes de déplacement et la réduction du bruit et des risques d’accident qui est observée.

Le linéaire d’infrastructures routières, notamment les autoroutes, est également un facilitant de la dépendance énergétique. Si l’État a récemment annoncé l’abandon de projets autoroutiers, le chantier de l’A69 en Occitanie cristallise les opinions.

Enfin, modérer la demande énergétique automobile passe par l’intermodalité voiture et transports en commun. Pour cela, les parkings relais sont la clé de voute d’une mobilité plus durable. On observe sur cette infrastructure une dynamique plutôt favorable :

  • Réouverture du parking relais (P+R) de La Fourragère, dans le 12e arrondissement de Marseille avec un doublement de la capacité d’accueil
  • Ouverture de 7 parkings relais sur l’agglomération de Clermont-Ferrand
  • La métropole de Lyon a annoncé une augmentation de 1000 places supplémentaires sur les parkings relais existants.

Différents leviers de sobriété dans l’automobile sont donc à la main de l’État, des employeurs et des particuliers. Ces dernières années, l’État s’est focalisé essentiellement sur l’intensité carbone de l’énergie pour décarboner les transports routiers (dernier levier de l’équation de Kaya), avec une accélération de l’électrification du parc de véhicules particuliers. Toutefois, les leviers précédemment explicités sont indispensables et les efforts doivent davantage être dirigés vers ceux-ci, à l’instar du malus au poids plus sévère sur l’année 2023. À ce jour, la politique engagée reste largement incitative et bénéficie d’une conjoncture négative sur le sujet énergétique, expliquant un léger report vers le covoiturage et l’intermodalité. La question de la coercition mérite également d’être posée afin d’accélérer cette « cure » de sobriété.

Les employeurs ont eux aussi entre leurs mains de puissants outils pour orienter la mobilité professionnelle et pendulaire vers plus de frugalité. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une stratégie claire intégrant :

  • Des diagnostics complets et cohérents : diagnostic de flotte, cartographie, fleet management system, diagnostic cartographique des collaborateurs et collaboratrices
  • Des dispositifs de financement : crédit mobilité, forfait mobilités durables
  • Les outils : plateforme de covoiturage, logiciel de réservation de véhicules
  • Et des formations adéquates : sensibilisation aux enjeux, connaissances de la mobilité, formation à l’écoconduite

Dernièrement, l’État a annoncé des arbitrages gouvernementaux pour les employeurs, se traduisant par un forfait mobilités durables global et l’obligation de proposer une alternative au véhicule de fonction conventionnel. Les projections des coûts de carburant étant pessimistes et le réchauffement climatique s’accélérant, il s’agit donc de passer la vitesse supérieure, en faveur de la sobriété.

 

Antoine BOUTIN, Consultant mobilité durable

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