La hausse des prix du carburant améliorera-t-elle la mobilité durable ?
Le 21 octobre dernier, Jean Castex annonçait la mise en place d’une prime carburant pour compenser la hausse des prix à la pompe. Depuis janvier 2021 le prix du diesel et du sans plomb 95 ont en effet connu une hausse respective de 12 et 16%. Le gaz est lui aussi touché par cette hausse des prix. Si cette dernière énergie fossile a peu de répercussions sur la mobilité des français, le prix du pétrole (diesel et sans plomb) a, lui, un fort impact sur les déplacements quotidiens des français. Pour rappel, les français dépensent en moyenne près de 6000€ par an dans leurs déplacements, deuxième poste de dépense derrière le logement.
Les causes de la crise du carburant
La sortie progressive de la crise sanitaire du COVID 19 a permis une reprise de nos modes de vie d’avant-crise. Ces modes de vie, et notamment nos déplacements quotidiens, sont fortement dépendants du pétrole et de l’énergie plus globalement. Cette reprise est soutenue à l’échelle mondiale, ce qui implique une forte pression (ou demande) sur l’énergie fossile à laquelle ne peuvent répondre les stocks d’énergie actuellement disponibles. S’ensuit alors une inévitable hausse des prix.
Cette problématique devrait être de plus en plus fréquente ces prochaines décennies. On estime en effet que le pic de production de pétrole conventionnel a été connu en 2008, ayant engendré une crise financière mondiale. Le pétrole non conventionnel dit pétrole de schiste a alors pris le relai jusqu’en 2018, où il a alors également connu son pic de production. La production de pétrole devrait donc décroître jusqu’à l’arrêt total de son exploitation fixée à horizon 2050.
Un impact fort sur le pouvoir d’achat
Pour les ménages français, cette hausse du prix du carburant a un impact majeur. Le pouvoir d’achat est la première variable affectée. On estime en effet qu’un français moyen parcourt 15 000km par an avec sa voiture. Cette hausse soudaine devrait donc coûter à un ménage français plus de 200€ sur l’année et ainsi accentuer le phénomène de précarité énergétique pour les ménages les plus pauvres. De manière indirecte, c’est l’ensemble des biens et des services reposant sur les hydrocarbures qui devraient connaître cette hausse et donc impacter le quotidien des français.
Pour répondre au mécontentement justifié des ménages français, le gouvernement a décidé de mettre en place une prime carburant d’un montant de 100€. Cette prime pour les revenus nets de moins de 2000€, devrait en toute logique permettre de compenser partiellement cette hausse des prix du carburant pour les automobilistes. Pour les non-automobilistes, cette prime fera office de cadeau. Cette crise est également facteur de stress et d’incertitude, faisant surgir le spectre « gilet-jaune » et les mobilisations nationales de 2018.
Une dépendance à l’égard des combustibles fossiles, comment s’en détacher ?
Pour autant, cette crise du carburant est l’opportunité de voir plus loin que cette simple hausse des prix ponctuelle. Elle illustre notre dépendance aux énergies fossiles et donc notre devoir de s’en détacher. Pour limiter cette dépendance, gagner en pouvoir d’achat et diminuer nos émissions de CO2, de nombreuses solutions s’offrent à nous. Il est important de préciser qu’aucune de ces solutions n’est une solution miracle, et qu’elles présentent toutes des avantages et inconvénients. L’idée est alors de choisir une ou plusieurs alternatives qui répondent à nos besoins en matière de distance parcourue, de temps, de coût et de convictions et donc d’avoir une pratique plus adaptée aux circonstances.
Réduire sa vitesse
Pour réduire le coût et les émissions associés à la voiture, il est aussi possible d’optimiser l’usage de la voiture. Cette optimisation d’usage peut se faire par une réduction de la vitesse sur route. Passer de 130 km/h à 110km/h sur autoroute permettra de réaliser 15 à 25% d’économie de carburant et donc une réduction de budget et des émissions associées du même ordre de grandeur. Sur un trajet de 500 kilomètres, cela représente 12€ (2). En considérant qu’en moyenne un français parcourt 5000km sur autoroute par an, le gain potentiel annuel est donc de 120€, pour 3h10 de perdues (ou gagnées, si vous profitez davantage du paysage qui s’offre à vous).
Covoiturage
Cette optimisation passe également par le partage du véhicule avec d’autres usagers : le covoiturage. Cette pratique permet de diviser par 2 ou plus (selon le nombre de passagers), les coûts liés à l’usage de la voiture. Les émissions de CO2 seront également divisées par le même ordre de grandeur. Cette pratique apporte davantage de convivialité durant les trajets quotidiens et permet de créer du lien social. Si vous ne souhaitez pas discuter durant le trajet, vous pourrez l’annoncer en début de trajet ou le préciser en amont via l’application de réservation. Il existe en effet de nombreuses applications pour pratiquer le covoiturage sur les déplacements domicile-travail telles que BlablaCar Daily, Klaxit ou Karos. Elles permettent de simplifier l’organisation des trajets (proposition, règlement, conditions…). Une politique de covoiturage peut également être envisagée au sein de l’entreprise avec une mise en relation des collaborateurs ou des aménagements de stationnement dédiés aux covoitureurs.
Dans une moindre mesure, l’autopartage permettra d’abandonner l’idée d’un véhicule personnel et de réduire ainsi les coûts liés à l’acquisition et émissions de CO2 associées. Il sera également possible de pratiquer le covoiturage avec un véhicule en autopartage, réduisant les coûts liés à l’usage. L’application française Getaround (ex Drivy), permet de mettre son véhicule à disposition en échange d’une rémunération.
Passage au biocarburant
Pour optimiser l’usage d’un véhicule sans le renouveler, les biocarburants sont également une alternative efficace et crédible. Il est en effet possible de convertir très simplement un véhicule thermique traditionnel essence au bioéthanol dit « E85 » via un boîtier branchable sur le moteur de votre véhicule. Ce biocarburant permet, pour un ménage moyen français, d’obtenir des réductions de coût de carburant d’environ 250€ par an grâce à un coût au litre de 70 centimes (1) (voir le simulateur ici). Un peu plus d’un an sera nécessaire à l’amortissement de votre boîtier. Les émissions de CO2 sont quant à elles réduites de 20 à 30%, car elles sont produites à partir d’une matière renouvelable, à savoir la fermentation d’alcool de blé ou de betterave. Comptez entre 600 et 1300€ pour un boîtier E85 qui viendra se brancher sur votre moteur. Des aides sont actuellement mises en place par certaines régions pour l’achat de boîtiers, notamment en région Hauts-de-France ou Grand Est. L’E85 est aujourd’hui distribué dans plus de 2600 stations-service (voir la carte ici), couvrant la majorité du territoire français, ce qui simplifie grandement l’autonomie de circulation via ce carburant. En termes d’inconvénients, la garantie constructeur de votre véhicule ne sera plus appliquée sur les pièces de votre moteur directement concernée par l’usage de carburant (injection, combustion…). Pour répondre à cet inconvénient, un arrêté a été voté en 2017 pour que les constructeurs de boîtiers proposent une garantie de substitution sur ces pièces.
Rétrofit du moteur
Toujours dans une optique de conservation de votre véhicule, vous pouvez aujourd’hui opérer un rétrofit du moteur. Cela revient à retirer le moteur thermique ainsi que le réservoir du véhicule et à les remplacer par un moteur électrique et une batterie. Ce processus vous permet ainsi de limiter l’impact économique et environnemental qu’engendrerait un renouvellement de véhicules neufs : le châssis, l’électronique et l’habitacle sont en effet conservés. Pour réaliser cette opération, il faudra que votre véhicule soit âgé de plus de 5 ans. Comptez entre 7 et 15 000€ pour un rétrofit selon la taille de la batterie. Les professionnels tout comme les particuliers sont éligibles à de nombreuses aides locales selon le profil du véhicule.
Utiliser une mobilité à faible impact carbone
Enfin, lorsque cela est possible, il est recommandé d’utiliser autant que possible les modes à très faible impact carbone que sont les transports en commun ou les modes actifs (vélo, vélo à assistance électrique, trottinette ou marche). Ces derniers offrent de nombreux avantages en matière de coût pour l’usager, mais également de santé physique et psychologique. Lorsque les distances parcourues sont trop longues pour pratiquer exclusivement les modes actifs, il est possible de les coupler aux transports en commun ou la voiture, c’est ce qu’on appelle l’intermodalité. Elle permet d’accroître le rayon d’action du mode actif. De nombreuses combinaisons sont possibles : marche et vélo, autocar et vélo pliant, métro et trottinette électrique. Il convient de trouver celle qui convient le mieux à nos envies et à nos possibilités quotidiennes. A noter que l’intermodalité est également possible avec la voiture, puisque de nombreux parkings relais voient le jour en France aux entrées des villes et à proximité d’infrastructures lourdes de transports en commun comme les gares.
Le rôle des employeurs
Les entreprises ont aujourd’hui un grand rôle à jouer dans la mise en place de politique mobilité durable pour aider les français à réduire le coût et l’impact environnemental de leurs déplacements quotidiens. Pour cela, de nombreuses mesures existent comme la mise en place du télétravail ou l’optimisation des trajets professionnels (tournées commerciales par exemple). D’autres peuvent être mises en place par les particuliers comme l’optimisation des trajets : rentrer du travail et faire les courses sur un même trajet par exemple. Ces mesures relèvent de la « Démobilité » : la réduction et l’optimisation de ses déplacements.
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi d’Orientation des Mobilités en 2019, le Forfait Mobilités Durables, dispositif de financement de modes de transports alternatifs et durables d’un montant de 500€/an/salarié, est déployable au sein des organisations. Cette aide est facultative pour les entreprises et obligatoire pour les établissements publics. Il existe aujourd’hui de nombreuses actions pour une mobilité plus durable accessibles aux employeurs. De la sensibilisation aux enjeux des déplacements à l’aménagement d’infrastructures pour voiture électrique ou modes actifs, ou la mise en place d’aides financières, la mobilité durable a de beaux jours devant elle. Il convient désormais de saisir l’opportunité que représente cette crise pour modifier nos pratiques.
(1) sur une base de 15 000km annuels pour une consommation habituelle de 7L/100km
(2) Sur une base de 1,6€ par litre de carburant avec une consommation à 7L/100km à 130km/h
Antoine BOUTIN – Consultant Climat et Mobilité