mobilite | 23/11/21

De l’hypermobilité à la démobilité

De l’hypermobilité à la démobilité

Comment réinventer nos modes de travail ?

La crise sanitaire, démocratique et écologique que nous subissons nous pousse à repenser notre mobilité, à réfléchir à la consommation excessive que nous faisons d’elle et à passer d’une mobilité subie à une mobilité choisie, frugale et durable. Télétravailler depuis son domicile ou d’un espace de coworking (pour les actifs qui peuvent y recourir), réduire sa dépendance à l’automobile, développer les mobilités de proximité par les modes actifs et apprendre à ralentir notre rythme de vie au quotidien sont autant de solutions pour sortir de cette société : la société de la vitesse.

 

De l’hypermobilité…

Voyager, travailler, faire ses courses, se divertir… sont autant de motifs de déplacement qui caractérisent et divisent nos sociétés. Pendant de nombreuses années et plus précisément depuis la fin des Trentes Glorieuses, les mobilités spatiales vont connaître une augmentation importante et excessive.

D’après le manuel de sociologie des mobilités géographiques, rédigé par Leslie Belton-Chevalier, Nicolas Oppenchaim, et Stéphanie Vincent-Geslin, c’est dans les années 1950 que la mobilité apparaît dans la vie quotidienne des Français : les salariés découvrent les déplacements pendulaires entre la résidence et l’emploi, les femmes accèdent massivement au salariat, le niveau de vie s’améliore fortement, et corrélativement, les ménages s’équipent de plus en plus en voiture.

Cette globalisation des mobilités marque la popularisation et la banalisation de se mouvoir continuellement. C’est ce qu’affirme Yves Crozet, économiste français spécialiste de l’économie des transports, dans l’article « 60 ans de démocratisation de la vitesse : d’un changement d’époque à l’autre ». Dans celui-ci, l’auteur relate que l’hypermobilité se justifie par la démocratisation de la vitesse, la diversification et l’intensification des programmes d’activités, et par l’accompagnement des politiques publiques. Il affirme que « chacun des 64,5 millions de personnes résidant en France métropolitaine effectue en moyenne 15 503 kilomètres par an, soit environ 42 km par jour ».

En ce qui concerne les déplacements domicile-travail, la distance et le temps de trajets des déplacements pendulaires ne cessent d’augmenter : d’après la direction de l’animation de la recherche, des études et statistiques, le temps de trajet des actifs français s’est accru de 10 minutes depuis la fin des années 90 et de 2 kilomètres depuis 1990.

Cette hypermobilité, corrélée à l’émergence et à l’utilisation massive des véhicules motorisés, a des conséquences néfastes sur notre société et notre cadre de vie : étalement urbain (qui est aussi une cause de l’hypermobilité), artificialisation des sols, pollution de l’air, nuisances sonores, etc. Longtemps perçu comme une réussite sociale et professionnelle, le modèle qu’on nous impose, la surmobilité, est à bout de souffle.

Il est nécessaire de changer de paradigme, de repenser nos déplacements et de sortir de cette vision individualiste que nous avons de nos déplacements. L’usage massif de la voiture individuelle (l’occupation moyenne d’une voiture est aujourd’hui de 1,5 à 1,7) est perçu, par de nombreux sociologues, comme une fuite ou encore une forme d’évitement de l’autre et donc du lien. L’automobile n’est donc pas l’aboutissement d’une vie sociétale, comme les plus d’un milliard d’euros de publicité dédiée à l’automobile nous le fait croire, mais un outil d’individualisation.

 

… à la démobilité

La démobilité ne signifie pas l’immobilisme, la sédentarité ou encore l’usage obligatoire de la marche pour effectuer ses déplacements domicile-travail. D’après Julien Damon, auteur de « La démobilité : travailler, vivre autrement », la démobilité est une invitation à éviter et réduire les déplacements pénibles. Pour cela, les employeurs, publics comme privés, sont de plus en plus nombreux à repenser leur organisation de travail et plus précisément leur lieu de travail : développer la pratique du télétravail, recourir aux tiers-lieux, appliquer le flex-office voire la flexibilité des horaires de travail. La société évolue et les salariés sont de plus en plus attirés par des modes de travail alternatifs permettant de réduire, voire supprimer leur trajet pendulaire.

Avant de faire un état des lieux des nouveaux modes de travail existants, il est nécessaire d’avoir en tête que le télétravail et la possibilité de ne pas se rendre sur son lieu de travail concernent un peu moins de la moitié des actifs français. En effet, d’après une enquête réalisée par Harris Interactive en 2020 pour le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion (2050 actifs sondés), 39% des actifs en emploi déclarent que leur métier actuel ne peut pas être exercé en télétravail contre 36% qui disent pouvoir télétravailler sans difficulté. 25% des actifs pourraient télétravailler, mais en rencontrant des difficultés. Le profil type d’un actif éligible au télétravail serait, d’après la Fondation Concorde, un individu âgé d’environ 42 ans, diplômé au minimum d’un Bac +3 et employé d’une entreprise de plus de cinquante salariés dans une grande ville. Tout cela pour dire qu’environ 15 millions d’actifs sont aujourd’hui inéligibles au télétravail.

 

Les nouveaux modes de travail

LE TÉLÉTRAVAIL

Le télétravail est un mode de travail permettant au salarié de travailler en tout ou partie hors des locaux de l’entreprise. Ce mode de travail s’est fortement démocratisé depuis la crise sanitaire. Exercé dans des conditions optimales, le télétravail permettrait aux salariés d’être plus productifs. Il permettrait également une diminution du stress, une augmentation du bien-être et une réduction de l’absentéisme.

Le télétravail n’est toutefois pas apprécié par l’ensemble des actifs éligibles. Difficulté à séparer vie professionnelle et vie personnelle, baisse des interactions sociales ou encore manque de visibilité dans l’entreprise… sont autant de limites à cette « nouvelle » pratique de travail (avant la crise sanitaire, son développement était encore très marginal). Une installation inappropriée (l’ergonomie), est également considérée comme un facteur contribuant à une expérience insatisfaisante du télétravail : de plus en plus d’entreprises proposent une prime télétravail permettant de financer l’achat d’un écran, d’un siège de bureau voire même l’électricité.

Aux entreprises de trouver le juste milieu, de définir un cadre permettant l’épanouissement du salarié et une organisation de travail optimale.

 

LES TIERS-LIEUX

On les nomme « tiers-lieu » pour désigner un « troisième lieu », ni la maison, ni le bureau, mais un espace, principalement situé proche de son lieu de travail (permettant une réduction du temps passé dans les transports et une baisse des émissions de gaz à effet de serre liées). Ces espaces de coworking proposent un espace partagé accessible à la demi-journée, à la semaine, au mois voire à l’année, permettant de partager un lieu et des équipements. Ces lieux proposent des infrastructures adaptées et des locaux bien équipés, permettant ainsi de rétablir une frontière entre le travail et la vie privée.

Comme évoqué précédemment, de nombreux salariés n’apprécient pas le télétravail, facteur d’isolement. Les tiers-lieux permettent de créer des interactions sociales, des échanges et des synergies entre les différents actifs. Une étude, effectué par des chercheurs de l’Erasmus University de la Rotterdam School of Managament démontre que sur les 500 utilisateurs de coworking interrogés, il en ressort que 1 utilisateur sur 4 reconnait avoir démarré un partenariat d’affaires avec un autre membre de son espace de coworking.

Pour les entreprises, développer l’accès à ces espaces est un moyen efficace de diminuer ses dépenses immobilières : l’immobilier est souvent considéré comme le deuxième poste de dépenses des entreprises, après les ressources humaines (masse salariale). Ainsi, pour de nombreuses d’entre elles, le travail à distance devient la règle, et la présence en entreprise, l’exception.

 

LE FLEX OFFICE

Le flex-office est un mode d’organisation selon lequel les collaborateurs ne disposent pas de poste de travail fixe. Chaque jour, les collaborateurs s’assoient là où ils trouvent de la place et à l’endroit qui leur semble approprié pour leur journée. Avec la démocratisation du télétravail, les employeurs vont au fil des années réduire la taille de leurs bureaux. L’entreprise a donc tout intérêt à réattribuer les postes de travail et à redonner une nouvelle fonction à l’espace de travail (un bureau attribué n’est occupé qu’à 60% en moyenne).

Travailler à distance (pour celles et ceux qui le peuvent), de chez soi ou d’un espace de coworking, arriver plus tôt le matin et partir plus tôt le soir (flexibilité des horaires) pour éviter les heures de pointe, privilégier les modes de transport durables et les mobilités de proximité sont autant de solutions pour choisir ce que nous voulons faire de nos déplacements. Pour passer de l’hypermobilité à la démobilité et pour réduire l’impact de la mobilité sur notre environnement, les employeurs ont de plus en plus d’outils à disposition. Certes, les collectivités et les institutions publiques ont un rôle à jouer en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, mais sans une volonté des employeurs à repenser les modes de travail, la mobilité restera une contrainte pour une multitude de salariés.

 

Johanna LARAND, Consultante Mobilité Durable

 

Sources :

  • Manuel de Sociologie des Mobilités Géographiques, Leslie Bleton-Chevallier, Nicolas Oppechaim et Stéphanie Vincent-Geslin
  • 60 ans de démocratisation de la vitesse : d’un changement d’époque à l’autre, Archives ouvertes
  • Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques
  • 1,1 Mds € de publicité dédiée à l’automobile : Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France
  • La démobilité : travailler, vivre autrement, Fondation pour l’Innovation Politique
  • L’activité professionnelle des français pendant le confinement, Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion.

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